La privatisation de l’éducation est un problème croissant et complexe.
La privatisation est un processus qui peut être défini comme «le transfert d’actifs, de gestion, de fonctions ou de responsabilités [en lien avec l’éducation] qui appartenaient ou étaient antérieurement réalisés par l’État pour des acteurs privés» (Coomans & Hallo de Wolf, «Privatisation of Education and the Right to Education» in de Feyter & Gomez (eds.), Privatisation and Human Rights in the Age of Globalisation, 2005 (en anglais uniquement)).
Les acteurs privés peuvent être des compagnies, des institutions religieuses ou des organisations non-gouvernementales. La privatisation peut avoir lieu de plusieurs manières différentes, par le biais, par exemple, de développement de partenariats privés/publics. De plus, l'expansion non contrôlée et non réglementée du secteur privé de l’éducation, tels que les écoles à but lucratif ou les écoles privées peu coûteuses, peut avoir un effet privatisant si les élèves n’ont pas la possibilité de choisir une autre école.
Les acteurs privés ont la liberté de créer et diriger des établissements scolaires, en vertu du droit international relatif aux droits de l’Homme. Cette liberté est sujette à l’exigence que ces acteurs privés se conforment aux normes minimales prescrites par l’État (article 13(3) PIDESC). Elle est aussi étroitement associée à l’obligation de l’État de respecter la liberté des parents de choisir pour leurs enfants des établissements autres que ceux des pouvoirs publics s’ils le veulent. Le choix d’éducation des parents permet aux familles de choisir une éducation conforme à leurs convictions morales et religieuses.
Alors que la législation internationale relative aux droits de l’Homme n’indique pas clairement qui doit être le fournisseur direct des prestations éducatives, l’Observation générale No.13 du Comité des DESC indique «Premièrement, cet article part à l’évidence du postulat que les États assument au premier chef la responsabilité de fournir directement des services éducatifs dans la plupart des cas : les États parties reconnaissent par exemple qu’il faut poursuivre activement le développement d’un réseau scolaire à tous les échelons» (art. 13, par. 2(e) ; Observation générale No.13, paragraphe 48).
L’État a, en dernier ressort, la responsabilité de s’assurer que le droit à l’éducation soit appliqué quel que soit le pourvoyeur d’éducation. En vertu du droit international relatif aux droits de l’Homme, les États ont l’obligation de réglementer et de contrôler les établissements d’enseignement privé. L’État doit s’assurer que les prestataires privés respectent les normes minimales prescrites par l’État, et que les libertés éducatives ne conduisent pas à des disparités extrêmes des possibilités d’éducation pour certains groupes sociaux (PIDESC, article 13 et Observation générale No.13 du Comité des DESC, paragraphe 30).
La privatisation de l’éducation est parfois mise en valeur comme étant un moyen de combler des lacunes dans les prestations éducatives. Cependant, la nouvelle tendance à la privatisation de l’éducation soulève des inquiétudes sérieuses sur son impact négatif sur l’exercice du droit à l’éducation, et plus particulièrement en ce qui concerne la disponibilité et l’accès à une éducation gratuite, à une égalité des chances et à une éducation de qualité.
Les acteurs privés qui fournissent des prestations éducatives doivent respecter le droit à l’éducation et l’État doit s’assurer que tous les acteurs privés qui jouent un rôle dans l’offre éducative soient responsables. Des directives ont été développées pour fournir un cadre afin de mieux définir le rôle des acteurs privés en ce qui concerne les droits de l’Homme, y compris le droit à l’éducation. Voir par exemple les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme et l’Observation générale No.16 du Comité des droits de l’enfant sur l’obligation des États concernant les incidences du secteur des entreprises sur les droits de l’enfant ainsi que le projet d’observation générale du Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels sur « les obligations des Etat dans le contexte d’activités commerciales au regard du traité sur les droits économiques, sociaux et culturels ».
Par ailleurs, le Conseil des Droits de l’Homme a établi un groupe de travail intergouvernemental permanent sur les sociétés transnationales et autres entreprises commerciales et les droits de l’Homme, dont le mandat est d’élaborer un traité pour réguler, dans le cadre du droit international, les activités des sociétés transnationales et autres entreprises commerciales. Pour plus d'informations, voir ESCR-Net
Cadre international
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 1966 (Articles 2 et 23; Observation générale N°13)
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966 (Articles 3 et 26; Observation générale N°28)
Convention relative aux droits de l’enfant, 1989 (Articles 2, 28 et 29; Observations générales N°5 et N°16)
Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, 1979 (Article 2, Recommandation générale N°28)
Convention concernant la lute contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement, 1960 (Article 10)
OIT, Convention N°169 relative aux peuples indigènes et tribaux, 1989 (Article 27)
Cadre régional
Charte Africaine des droits et du bien-être de l’enfant, 1990 (Article 11)
Protocole additionnel à la Convention américaine relative aux droits de l’Homme traitant des droits économiques, sociaux et culturels – Protocole de San Salvador, 1988 (Article 13)
Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, 2000 (Article 14)
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 1948, et son Protocole additionnel N°1, 1952 (Article 2)
Charte sociale européenne, 1997 (Articles 15 et 17)
Conseil de l’Europe – Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, 1995 (Article 13)
Conseil de l’Europe – Recommandation aux Etats membres en vue d’assurer une éducation de qualité, 2012
Pour plus d'informations, voir Instruments internationaux - Le droit à l'éducation et le rôle des acteurs privés dans le domaine de l'éducation.
En 2019, un groupe de 57 éminents experts internationaux a adopté les Principes d'Abidjan à l'issue d'un processus consultatif de trois ans impliquant des centaines de parties prenantes. Les « Principes d'Abidjan sur les obligations des États en matière de droits de l'homme d'assurer un enseignement public et de réglementer la participation du secteur privé à l'éducation » sont un texte historique qui compile les normes de droit international existantes pour clarifier le droit à l'éducation et le rôle des acteurs non étatiques.
RTE siège au secrétariat des Principes d'Abidjan. Nous avons joué un rôle important dans leur développement et leur adoption, et nous continuons à soutenir leur promotion et leur diffusion.
Les Principes sont disponibles dans les langues officielles d'adoption, l'anglais et le français, et ont été traduits en espagnol, en portugais et en arabe.
La jurisprudence suivante relative à la privatisation de l'éducation et à la réglementation des prestataires privés d'éducation comprend des décisions de tribunaux nationaux, régionaux et internationaux ainsi que des décisions d'organes administratifs nationaux, d'institutions nationales de défense des droits de l'homme et d'organes internationaux de défense des droits de l'homme.
Mohini Jain c. Karnataka (Cour suprême de l'Inde ; 1992)
Dans cette décision, la Cour suprême de l'Inde a statué que les institutions privées, agissant en tant qu'agents de l'État, ont le devoir de garantir l'égalité d'accès à l'enseignement supérieur et la non-discrimination dans la prestation de celui-ci.
Bush v Holmes (Cour suprême de Floride ; 2006)
Dans cette décision, la Cour suprême de Floride a estimé qu'un programme de bons d'études fournissant des fonds publics à des étudiants pour qu'ils reçoivent un enseignement privé n'était pas conforme à l'article IX, section 1 de la Constitution de Floride, qui exige que le gouvernement de l'État prenne des dispositions adéquates en matière d'éducation par le biais d'un système uniforme d'écoles publiques gratuites.
Juma Musjid Primary School v Essay (Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud ; 2011)
Dans cette décision, la Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud a estimé qu'un ordre d'expulsion obtenu par le propriétaire d'un terrain privé sur lequel se trouvait une école publique ne pouvait être exécuté car il aurait une incidence sur le droit des élèves à l'éducation de base et sur l'intérêt supérieur de l'enfant en vertu de la Constitution sud-africaine (articles 28 et 29).
Society for Unaided Private Schools c. Inde (Cour suprême de l'Inde ; 2012)
Dans cette décision, la Cour suprême de l'Inde a estimé que l'autorité de l'État pour remplir ses obligations au titre du droit à l'éducation peut être étendue à des acteurs privés non étatiques. Le gouvernement indien peut donc exiger que toutes les écoles, qu'elles soient publiques ou privées, accueillent 25 % d'enfants issus de groupes défavorisés.
Environmental & Consumer Protection Foundation v Delhi (Cour suprême de l'Inde ; 2012)
Dans cette décision, la Cour suprême de l'Inde a estimé qu'en vertu de la loi sur le droit des enfants à une éducation gratuite et obligatoire (2009) et de la Constitution indienne, les autorités centrales, étatiques et locales ont l'obligation de veiller à ce que toutes les écoles, tant publiques que privées, disposent d'infrastructures adéquates.
Louisiana Federation of Teachers v Louisiana (Cour suprême de Louisiane ; 2013)
Dans cette décision, la Cour suprême de Louisiane a estimé que les ressources publiques constitutionnellement réservées aux écoles publiques ne peuvent pas être allouées aux écoles privées, que ce soit directement ou indirectement par le biais d'un programme de bons d'études.
Voir aussi GI-ESCR - Les acteurs privés et le droit à l'éducation - Base de données de jurisprudence