Écoles privées à faibles frais et écoles à charte américaines: deux facettes de l'éducation privée non traditionnelle
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La tendance mondiale à la privatisation de l'éducation publique au cours des deux dernières décennies est maintenant largement reconnue. Alors qu'une confluence de nombreux facteurs - y compris le désinvestissement dans l'éducation publique et le désir parental d’options scolaires - a contribué à l'élan de la privatisation, cette tendance a connu davantage de succès dans les endroits où la privatisation a été une option politique bien financée, soutenue par une combinaison d’acteurs puissants publics et privés. Alors que les écoles privées traditionnelles ont augmenté dans de nombreux pays, la vague actuelle de privatisation a été caractérisée par l'émergence de formes non traditionnelles d'enseignement privé.
Depuis leur légalisation en 1991, les écoles à charte ont augmenté rapidement, aux États-Unis. Dès 2013, les écoles constituaient 6.2% de toutes les écoles publiques du pays. Ce sont des écoles privées (souvent dirigées par une société à but lucratif) autorisées par un organe du gouvernement fédéral à recevoir des fonds publics et à faire fonctionner une école. Elles se qualifient elles-mêmes “d'écoles à charte publiques”, dans la mesure où elles ont été créées par l'État et ne facturent aucun frais de scolarité ni d'entrée. Leur génie réside dans le fait qu'elles ont obtenu une législation leur permettant de recevoir des milliards de dollars en fonds publics, tout en opérant avec des conseils d'administration privés, indépendamment des districts scolaires locaux. Il est difficile d'imaginer un tel arrangement à l'extérieur des États-Unis. Dans les pays en développement, les écoles privées à faible coût (LCPS pour son sigle en anglais) ont acquis une grande notoriété. Ces écoles, telles que les écoles Omega, se présentent comme une alternative peu coûteuse et de haute qualité aux écoles publiques gérées par l’État.
Malgré les énormes différences entre les contextes dans lesquels opèrent les écoles à charte et les LCPS, elles ont toutes deux beaucoup en commun. Le mouvement LCPS se sont clairement laissé porter par le succès des écoles à charte- répliquant très consciemment les activités et les méthodes pédagogiques de ces écoles, y compris le contenu hautement normé et l’accent mis sur l'exécution des tâches à l'unisson. Cette émulation n'est pas une coïncidence: plusieurs acteurs clés dans les organisations de LCPS ont également été activement impliqués dans le secteur scolaire des écoles à charte aux États-Unis. Par exemple, des entreprises comme Pearson Education ont fortement influencé les deux mouvements en investissant dans des écoles à charte américaines à l'échelle nationale et en finançant les écoles Omega. De même, des individus comme Mike Goldstein ont été des leaders influents à la fois dans les secteurs des écoles à charte et des LFPS. De plus, les deux secteurs ont développé un discours critique similaire concernant l'éducation publique, accusant l’inefficacité des bureaucraties gouvernementales d’être responsables des problèmes scolaires. Les écoles à charte et les LCPS voient l'indépendance et l'initiative privée comme des éléments clés de la solution à la crise de l'éducation, et les deux modèles impliquent une implication accrue des sociétés à but lucratif dans l'éducation des enfants.
Les similitudes entre ces deux modes d'enseignement privé non traditionnel s'étendent à leurs conceptions respectives de l'éducation. Les deux tendent à réduire l'objectif de l'éducation à «une préparation à l’université et la carrière», mesurée par les résultats des tests, le pourcentage d'étudiants admis à l’université ou d'autres mesures similaires. Par exemple, l'objectif de KIPP Charter School pour tous ses élèves est l’obtention d’un diplôme universitaire. Dans le contexte du monde en développement, bien sûr, cet objectif persiste, souvent sous une forme modifiée: Bridge International Academies, qui compte maintenant plus de 100,000 élèves au Kenya, en Ouganda et au Nigéria, espère augmenter les chances des élèves d'aller au lycée en augmentant leurs résultats aux examen d'entrée.
Ces objectifs suscitent beaucoup d’intérêt, en particulier pour les familles en difficulté qui cherchent une «vie meilleure» pour leurs enfants, et ne croient pas que les écoles publiques existantes puissent fournir ce type de possibilité. Cet appel tient compte de la popularité très discutée de ces écoles parmi les populations défavorisées. Dans divers pays, les familles à faibles revenus voient ces indicateurs de réussite comme des indicateurs de succès et choisissent d'envoyer leurs étudiants dans ces écoles, malgré les difficultés financières ou autres. Les données suggèrent que certains étudiants réussissent plutôt bien dans les environnements scolaires des écoles à charte et des LCPS, mais ces écoles ne sont pas pour tous les étudiants. Pour les enfants qui ne peuvent envisager de futur à l’université (ou au lycée, lorsque l'école secondaire n'est pas garantie), tel que c’est le cas pour certains étudiants ayant des besoins spécifiques ou des étudiants souhaitant simplement une carrière professionnelle, les écoles dont l'accent est mis uniquement sur la préparation à la carrière ne sont certainement pas la meilleure solution.
Comment la croissance de ces alternatives privées non traditionnelles a-t-elle une incidence sur l'éducation publique dispensée aux enfants qui restent dans le système public? Du point de vue du droit humain à l'éducation, il s'agit d'une question cruciale qui mène à une similitude finale entre les écoles à charte et les LCPS. Dans l'ensemble, chacun d'entre eux peut exacerber la tendance au désinvestissement dans les écoles publiques. Étant donné que la principale source de financement des écoles à charte se trouve dans les allocations relatives à l’enseignement public, cette répercussion est plus facile à démontrer. Le lien est moins clair dans le cas des écoles à faible coût, mais les preuves de plus en plus nombreuses montrent que le modèle de financement de ces écoles entraîne le même effet de désinvestissement. Cet effet est très préoccupant en ce qui concerne la capacité pour tous les étudiants restant dans le secteur scolaire public d'accéder à une éducation de qualité.
La tendance mondiale à la privatisation de l'éducation est un grand défi pour ceux qui s'engagent à mettre en oeuvre le droit à l'éducation pour tous les enfants. En dépit de leur extraordinaire succès à se définir comme écoles publiques, les écoles à charte des États-Unis font partie intégrante de cette tendance. Les défenseurs de l'éducation publique, les États-Unis et leurs partenaires mondiaux doivent se coordonner et apprendre les uns des autres au moins aussi bien que les promoteurs du secteur de l'enseignement privé non traditionnel qui évolue rapidement.
Kevin Murray est directeur exécutif du programme sur les droits de la personne et l'économie mondiale (PHRGE) à la Northeastern University School of Law.
Aja Watkins est étudiante à Northeastern et assistante de recherche au PHRGE.