La dichotomie de l'éducation technique par rapport à l'enseignement général: remettre en question l'indivisibilité du droit à l'éducation

Tanvir Muntasim - @TanvirMuntasim
18 Août 2015

J'ai été très heureux d'être invité par l'UNESCO à participer à la Conférence Asie-Pacifique sur l'éducation et la formation (ACET) qui a eu lieu à Kuala Lumpur en Malaisie du 3 au 5 août. Elle a été organisée conjointement par l'UNESCO et le Ministère de l'éducation de la Malaisie, avec la participation de 48 pays. Le calendrier de la Conférence n'aurait pas pu être meilleur, juste après le Forum mondial sur l'éducation en mai et avant le Sommet sur le développement durable (ODD) en septembre. Avec un taux de chômage des jeunes très élevé dans la région (le plus élevé au monde) et un contexte de travail en évolution rapide rendant les compétences actuelles rapidement obsolètes le sujet de la conférence était très pertinent pour la région Asie-Pacifique.

Si la déclaration de la conférence s'est révélée assez progressive (grâce à une excellente médiation par l'équipe de l'UNESCO), je n'ai pas trouvé qu’elle représentait complètement les tendances générales des conversations pendant la conférence. D’ailleurs, certaines des tendances générales ayant émergé des discussions pourraient servir de base de réflexion pour tout défenseur du droit à l'éducation.

La première chose qui a attiré mon attention était la prédominance du discours néolibéral façonné par les exigences du marché dans la conception de la nature et de la portée de l'EFTP. Tout tournait autour du développement d’un «capital humain» pour une croissance économique rapide. On ne peut nier l'importance de l'employabilité, mais la vision doit être plus large qu'elle ne l'est actuellement. Bien qu'il soit important de renforcer les liens entre les résultats de l'EFTP et l'évolution des besoins du marché du travail, l'EFTP et le renforcement des compétences doivent également se concentrer sur et intégrer un large éventail de connaissances, de compétences et d’aptitudes pour le travail et la vie. Alors qu’obtenir un travail décent est un aboutissement important de l'EFTP, il ne devrait pas être uniquement axé sur le marché du travail et ses exigences.

L'EFTP doit être situé dans un cadre d'autonomisation et d'apprentissage tout au long de la vie où les apprenants peuvent améliorer leurs compétences en matière de pensée critique, de prise de décision, pouvant s'adapter aux environnements en évolution qui les entourent et devenir des individus autonomes. Cependant, cet ancrage dans un cadre fondé sur les droits semblait manquer dans la plupart des cas. En fait, lorsque j'ai suggéré que le droit à l'éducation et le droit au travail devaient être adoptés comme principes fondamentaux dans le texte final, les représentants du secteur privé ont remis en cause la place de tels droits dans la Déclaration. Heureusement, les animateurs de l'UNESCO étaient également déterminés à voir un lien plus étroit entre le droit à l'éducation et le monde du travail, et il a donc trouvé sa place dans la Déclaration. Cependant, cela ne semblait pas être un point de vue majoritaire, surtout en termes de pratique.

La discrimination et les stéréotypes sexospécifiques dans l’EFTP sont également préoccupants. À l'heure actuelle, les femmes se voient habituellement offrir / sont habituellement encouragées à acquérir des compétences pour des emplois «adaptés» aux femmes ou ceux qui relèvent des domaines traditionnels que les femmes sont censées mieux remplir comme les soins de santé, les soins de beauté, la couture, la communication, l'éducation, etc. Des efforts sont nécessaires pour ouvrir aux femmes des filières qui ont traditionnellement été considérées comme réservées aux hommes. L'acquisition des bonnes compétences est la première étape pour l’autonomisation économique des femmes. Il semblait y avoir un manque de sensibilisation sur cette question. En fait, lors d'une des manifestations parallèles, lorsqu'un collègue a soulevé cette question, le présentateur de Pearson a déclaré combien il était fier de constater que près d'un tiers de ses étudiants en Inde sont des femmes et combien ils soignent la conception de cours pour que les femmes puissent devenir des esthéticiennes professionnelles en consultant des professionnels renommés, confirmant ainsi l'hypothèse sur les stéréotypes sexospécifiques. Il y avait une tendance à utiliser une terminologie obsolète insensible au genre (par exemple, un grand nombre d'intervenants ne cessaient de parler du développement de la «main-d'oeuvre»), ce qui devrait être abordé dans les politiques et la pratique.

En ce qui concerne la détermination du contenu de la formation, il semblait que cela relevait plus d’une discussion entre les entreprises et l'État. Quand j'ai demandé comment les voix de l'apprenant seraient intégrées dans les programme d'études, en particulier celles des jeunes pour lesquels il s’agit là d’un véritable enjeu,  je n'ai pas reçu de réponse satisfaisante. Cela a renforcé la perception selon laquelle la demande et l'offre sont décidées sans la participation active des travailleurs réels, ce qui était en effet inquiétant. Si la dignité des citoyens au travail doit être assurée, les voix de l'apprenant doivent être prises en considération, et elles doivent être intégrées aux discussions en tant que participants actifs, et non uniquement en tant que bénéficiaires passifs de formations pour les compétences. Les pratiques de salaire minimum et l'environnement de travail dans le cadre des normes du travail doivent également faire partie du programme d'études.

J'ai été très heureux de voir les présentateurs souligner l'importance des enseignants qualifiés et d’utiliser la technologie pour soutenir et non pas remplacer les enseignants. C'était une agréable surprise, car il semble y avoir une insurrection de l'optimisme technologique irrationnel - où les experts technologiques assurent sans preuve suffisante que la technologie de pointe peut rendre les enseignants redondants.

J'ai été surpris de voir les responsabilités nationales d'accréditation confiées à des sociétés privées pour qu’elles les administrent (par exemple, l'accréditation BTEC du gouvernement britannique est administrée par Pearson), ce qui soulève des problèmes de responsabilité. Il était également préoccupant de voir des exemples de mise en œuvre de l'EFTP, où les subventions publiques étaient attendues par et accordées aux industries pour accroître les bénéfices privés. On pourrait s’attendre à ce que les industries investissent dans la fourniture suffisante de compétences spécifiques au travail pour leurs travailleurs afin de maximiser les bénéfices, mais c'est là que les attentes en matière de subvention entrent en jeu.

Il était tout à fait surprenant de voir un accent mis sur les compétences «écologiques» pour le développement durable, mais afin de poursuivre une croissance économique insoutenable. C'est un paradoxe qui doit être résolu de toute urgence.

Enfin, il était préoccupant d'observer une dichotomie artificielle de l'éducation technique par rapport à l'éducation générale, comme s'il s’agissait de deux aspects concurrents de l'éducation. Il s'agit d'une interprétation perverse du droit à l'éducation, qui est indivisible par définition, et doit être accessible, disponible, adaptable et acceptable, intégrant ainsi l'enseignement technique et général dans un cadre holistique. Plus tôt ce droit sera réalisé et mis en pratique, mieux ce sera pour l'entrée des citoyens dans le monde du travail. C'est seulement alors que nous pourrons veiller à ce que la croissance économique soit au service des peuples, pour faire face à l'inégalité extrême qui prévaut dans la société et non le contraire- les humains devenant esclaves du paradigme de croissance perpétuant la violation et l'exploitation des droits fondamentaux de l'homme.

Tanvir Muntasim est le responsable de la politique internationale, Education for ActionAid, une organisation basée sur la lutte contre la pauvreté et les droits humains, oeuvrant dans 45 pays. Son rôle consiste à surveiller et à s'engager dans des débats fondamentaux sur la politique mondiale, des plateformes et des réseaux en lien avec l'éducation. Il a travaillé auparavant pour l'ASPBAE (Asia South Pacific Association for Basic and Adult Education) et possède une expérience de quinze ans dans le secteur du développement. Il est titulaire de deux diplômes de maîtrise, en études de développement et en administration commerciale, de l'Université de Dhaka. Il peut être contacté via email à muntasim.tanvir@actionaid.org.

 

 

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