Boko Haram – Privation du droit à l’éducation

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© Akinkugbe Okikiola/ActionAid
Fons Coomans
10 Octobre 2014

Le monde a été choqué par l'enlèvement de près de 300 écolières et les attaques contre des écoles de l'état de Borno dans la partie nord du Nigéria par des combattants du groupe armé de Boko Haram. Il est devenu très clair à partir d'un message vidéo envoyé par l'un des dirigeants de ce groupe extrémiste islamique qu'ils sont d'avis que les filles devraient se marier à un âge précoce, rester à la maison et travailler comme des esclaves.

Boko Haram vise à établir un État islamique pur au Nigéria et rejette ce qu'ils considèrent comme des valeurs occidentales, tel que le système démocratique, l'égalité entre les hommes et les femmes, la liberté religieuse et l'éducation inspirée de l'Occident. Le nom de Boko Haram signifie: l'éducation occidentale est interdite ou est un péché. De plus, ils semblent priver les filles de leur droit à l'éducation. Autrement dit, ils nient qu'une privation du droit à l'éducation est survenue. Leurs idées sont contraires à la valeur fondamentale universellement partagée que chaque individu a le droit à la réalisation personnelle, à l'autonomisation et à la progression sur l'échelle sociale par le biais de l'éducation. Du point de vue des droits humains, l'éducation est un droit fondamental qui libère l’exercice d'autres droits humains. Ce droit prend une position centrale dans la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (article 10).

Certains parents islamiques dans la partie islamique du Nigéria sont d'accord avec les points de vue de Boko Haram, dans la mesure où ils estiment que l'éducation au Nigéria a trop d'influences occidentales du fait de l’accent qu’elle met sur les idées démocratiques et parce qu’elle renforce la position sociale des filles et leur maturité. Boko Haram semble affirmer que toute connaissance d’origine occidentale est suspecte et devrait être considérée comme un complot contre l'islam et qu’éduquer les filles correspond à un “impérialisme culturel occidental" (The Guardian, 3 mai 2014). On peut assister à des développements similaires en Afghanistan et au Pakistan où les leaders religieux s'opposent à l'éducation des filles. De telles idées ont été reprises par les talibans qui sont également contre un droit à l'éducation des filles. Cela est devenu très clair lorsque la fille pakistanaise Malala, une militante fervente luttant pour le droit à l'éducation des filles, a été touchée à la tête par une balle tirée par les talibans en octobre 2012.

Ce qui est important pour comprendre la situation actuelle au Nigéria, c'est que pendant la domination coloniale britannique avant 1960, des écoles missionnaires chrétiennes ont été mises en place dans le Sud, alors que les dirigeants musulmans du Nord étaient opposés à ce processus. Les Britanniques ont gouverné les deux régions séparément. La pauvreté dans le Nord et le retard économique et éducatif s'est avéré être un terreau pour l'émergence et la croissance de Boko Haram qui a trouvé et continue de trouver ses partisans parmi les hommes sans instruction, les chômeurs et les jeunes du Nord. À l'heure actuelle, il existe de grands déséquilibres dans les taux d'alphabétisation entre les femmes du Nord et du Sud (The Guardian, 14 mai 2014).

Toutes les principales croyances religieuses et sociales, dans le monde entier, conviennent que pouvoir suivre une éducation est précieux, non seulement pour une personne, mais aussi pour la société en général. Les développements récents qui semblent impliquer un déni de cette valeur et ce droit fondamentaux sont alarmants et devraient être pris au sérieux. Les pratiques de Boko Haram devraient-elles être considérées comme un relativisme culturel,  ce qui veut dire désavouer ce qu'ils considèrent comme un type d'éducation occidentale imposée?

Il n'est pas nécessaire d'établir dans chaque pays un type occidental d'éducation, mais au moins une certaine forme de pluralisme et de liberté de choix devrait être garantie. Dans le cas présent, cela signifie que l'endoctrinement ne devrait pas se produire, et qu’au lieu de cela les connaissances et les compétences doivent être transmises aux filles de manière objective, afin de leur permettre de s’émanciper et de travailler à leur propre développement. Une partie d'un tel processus est l'accès à l'information et aux nouvelles technologies afin de se connecter au monde et de connaître leurs capacités. Cela peut renforcer leur position sociale et leur émancipation, loin de la dépendance et de la subordination. Tout cela est-il occidental et subversif? C’est certainement une position moderne et implique un rejet des vues conservatrices des chefs religieux et des chefs de famille. Cependant, cela reflète également des idées et des valeurs partagées au sein des sociétés et entre les sociétés.

Un processus de sensibilisation par la société civile de toutes les parties prenantes en appliquant une approche ascendante par le dialogue, à partir du niveau local et familial, faciliterait la mise en œuvre du droit à l'éducation. Une façon appropriée d'y parvenir semble être l'éducation aux droits humains pour les filles et les femmes (les mères) qui partirait d’interprétations plus modernes du Coran. Cela pourrait tout d'abord être présenté sous la forme d’une éducation fondée sur les droits en dehors du système scolaire, dispensé, par exemple, par des organisations communautaires et par l'introduction d'enseignantes, afin de sensibiliser les femmes et les filles aux droits humains et à l'alphabétisation.

Deuxièmement, l'éducation aux droits humains devrait avoir lieu dans les écoles par le biais, par exemple, d’une réforme des programmes et des manuels scolaires afin de contrer les stéréotypes et les préjugés sur les rôles traditionnels des femmes et des hommes dans la société. Une telle stratégie vise non seulement à promouvoir le droit à l'éducation des filles, mais aussi à promouvoir les droits dans l'éducation et les droits par le biais de l'éducation.

Ces objectifs exigent la participation active de toutes les parties prenantes concernées, telles que les autorités gouvernementales centrales et locales, les chefs religieux, les autorités scolaires, les enseignants, les parents, les organisations communautaires et enfin les enfants eux-mêmes. Une telle approche aiderait à universaliser le droit à l'éducation dans la pratique. À cet égard, il semble approprié de conclure avec une citation d'An-Na'im et Hammond, qui ont écrit:

"Le projet de l'universalité des droits de l'homme doit être réalisé grâce à une confluence de réponses sociétales internes à l'injustice et à l'oppression, au lieu de tenter de transplanter un concept pleinement développé et concluant et son mécanisme de mise en œuvre, d'une société à l'autre. La manière d'obtenir une idée universelle acceptée localement est de la présenter sous des conditions locales, ce qui peut être fait par les populations locales. À l'inverse, l'acceptation locale enrichit l'idée universelle en lui donnant un sens et une pertinence dans la vie des peuples." [1]

Le professeur Coomans est consultant pour le Right to Education Project. En 1992, il a obtenu un doctorat de l'Université de Maastricht. Il travaille à l'Université de Maastricht depuis 1985. Actuellement, il est titulaire de la Chaire UNESCO en droits de l'homme et paix au Département de droit international et européen de l'Université de Maastricht. Il enseigne le droit international relatifs aux droits de l'homme et le droit international relatif au développement à l'école de droit. Il est directeur du Centre de Maastricht pour les droits de l'homme et chercheur principal à l'École néerlandaise d’investigation en matière de droits humains. Ses domaines de recherche comprennent la protection internationale des droits économiques, sociaux et culturels en général et du droit à l'éducation, à la santé et à l'alimentation en particulier, ainsi que les mécanismes internationaux de suivi dans le domaine des droits humains et la portée extraterritoriale du droit relatif aux droits humains. Contactez le professeur Coomans sur son email: Fons.Coomans@maastrichtuniversity.nl

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