Santé mentale : la pandémie silencieuse dans l’enseignement supérieur

Inès Girard, Fiona Vanston et Elodie Faïd
9 Juillet 2021

La pandémie de COVID-19 a eu des répercussions sur l’accès à l’enseignement supérieur de plusieurs façons, parfois indirectement. En effet les étudiants font face à des difficultés liées aux problèmes de santé mentale ou de précarité financière – conséquences indirectes de la crise sanitaire et des mesures prises par les gouvernements. 

Des études menées dans le monde entier ont révélé que la crise du COVID-19 a augmenté les risques de trouble mental des étudiants. Ainsi, des inquiétudes ont été suscitées par l’impact potentiel, sur le bien-être des étudiants, des mesures de santé publique prises par les gouvernements. Une étude* menée en avril 2020 par des chercheurs français basés dans les villes de Paris et de Lille a révélé des taux élevés de symptômes sévères de troubles (autodéclarés) de la santé mentale : 11 % des près de 70 000 personnes interrogées pour l’étude ont confié avoir des pensées suicidaires ; 24 % ont déclaré souffrir de dépression grave et 21 % ont déclaré être aux prises avec une anxiété sévère. De même, dans une enquête de l’Observatoire de la vie étudiante en France, un tiers des étudiants interrogés présentaient des signes de détresse psychologique au moment de l’enquête. Le même type d’étude réalisée aux États-Unis* démontre que les étudiants font face aux retombées largement négatives du COVID-19 sur leur santé psychique, en termes de manque de motivation, d’anxiété, de stress et de solitude. Dans les cas extrêmes, ces symptômes de détresse psychologique ont conduit certains à se suicider. 

Les étudiants sont déjà reconnus comme une catégorie de la population particulièrement vulnérable, or la pandémie de COVID-19 a exacerbé leurs difficultés. En effet, les jeunes et les étudiants sont considérés comme l’un des groupes les plus fragiles, souffrant déjà de taux d’anxiété, de dépression et de troubles de l’alimentation plus élevés que le reste de la population. Avec la pandémie, le poids qui pèse sur la santé psychique de ce groupe s’est encore alourdi.

De multiples facteurs mettent en péril leur santé mentale. Les mesures restrictives visant à contenir la pandémie, en particulier la fermeture des universités, l’annulation des cours en présentiel, les nouvelles modalités d’examen, la perte d’opportunités d’emplois ou l’anxiété concernant l’avenir sont autant de facteurs qui ont exacerbé l’isolement des étudiants et dans certains cas leur précarité financière – deux facteurs fortement associés aux troubles de santé mentale, comme l’explique Marielle Wathelet, Médecin spécialiste en santé publique au Centre National de Ressources et de Résilience, dans le blog « Vivement l’Ecole ! »

Depuis que de nombreuses universités ont fait basculer les cours en ligne, les étudiants souffrent particulièrement d’isolement social. Dans une lettre ouverte au président de la République française, Emmanuel Macron, en janvier 2021, un groupe d’étudiants s’est déclaré victime d’injustice, notant qu’alors que les entreprises et les écoles avaient rouvert Ainsi, les étudiants sont les derniers à subir des mesures de confinement strict. Ils sont face à leurs ordinateurs toute la journée, errant dans leur appartement et alternant les cours sur Zoom, le travail sur leur ordinateur, les repas et le sommeil – toujours tout seuls. Quentin et Emeline, des étudiants de troisième cycle dont 100 % des cours sont en ligne, souffrent de cet isolement :

« Cet isolement est difficile pour la santé mentale. Je regarde mon écran au moins 6 heures par jour », a déclaré Quentin. Emeline acquiesce : « Je retourne voir un psychologue. L’isolement social me rend fragile mentalement. C’est pour ça que j’ai prévu d’emménager dans une colocation, pour voir des gens ».

Si certaines universités ont adapté leurs programmes, les étudiants ont souvent la même charge de travail qu’auparavant. Pourtant, suivre des cours en ligne est beaucoup plus difficile. Les étudiants ont besoin de plus de temps pour comprendre et assimiler l’information, ce qui augmente leur charge de travail totale. Ils dépensent beaucoup d’énergie en essayant de rester concentrés et finissent souvent par être extrêmement fatigués. Quentin a expliqué pourquoi le passage aux cours en ligne a réduit sa capacité à étudier. Il a du mal à se concentrer, son travail est de moindre qualité et il lui faut deux fois plus de temps pour faire un exercice. Il confie : « On n’en peut plus. On a l’impression qu’on est constamment en train de travailler, que ça ne s’arrête jamais. La monotonie de nos vies est très lourde à porter ; ce que nous n’aurions jamais réalisé dans des circonstances normales. Ce qui est pénible, c’est que les enseignants attendent de nous la même qualité et la même quantité de travail. »

En raison de leur isolement social, détresse psychologique et surmenage mental, de nombreux étudiants n’ont pas pu continuer à suivre leurs cours. Les syndicats d’étudiants français ont mis en évidence le lien entre le passage aux cours en ligne et l’augmentation du risque de décrochage – soulevant ainsi d’importantes questions quant à l’accès des jeunes à l’enseignement supérieur, et à la rétention des étudiants de l’enseignement supérieur.

Même des étudiants sérieux et travailleurs ont maintenant du mal à suivre les cours.  Emeline nous a fait part de son expérience : « J’ai toujours bien écouté en cours, mais cette fois je pouvais plus. Je prenais du retard et j’ai arrêté de suivre les cours. Je faisais ma vaisselle pendant que le prof parlait, par exemple. Je sais que mes parents paient cher pour mes études, mais je n’en pouvais plus. C’est long, on ne voit personne, on n’a aucune interaction avec qui que ce soit. » 

De tels obstacles auront également des conséquences sur l’avenir plus lointain de ces étudiants. Comme ils sont censés acquérir des connaissances essentielles pour le reste de leur programme, prendre du retard au tout début peut entraîner des répercussions à long terme. Emeline note : « J’ai de plus en plus de mal à suivre les cours et je sais que je suis à la traîne dans des matières que je n’aurais normalement aucun mal à suivre. Mais pour ceux d’entre nous qui avaient déjà du retard dans certaines matières, je ne sais pas comment ils sont censés comprendre quoi que ce soit avec le système d’enseignement actuel. »

Les difficultés liées à l’isolement social et aux troubles de santé mentale qui en résultent sont bien évidemment exacerbées par les difficultés économiques. La précarité financière est un facteur de risque important pour les problèmes de santé mentale*, et l’épidémie de COVID-19 y a beaucoup contribué, mettant de nombreux étudiants en difficulté financière, principalement en raison de la disparition d’emplois étudiants. Les étudiants en situation précaire font face à des obstacles supplémentaires pour subvenir à leurs besoins de base et ils sont confrontés à des conditions d’études plus difficiles, car leur capacité à payer leur loyer, leurs soins médicaux et leur nourriture est dangereusement réduite. Les étudiants issus de milieux défavorisés sont souvent forcés de suivre les cours en ligne tout en étant enfermés dans de minuscules appartements, parfois de seulement 10m2, ce qui augmente la probabilité qu’ils finissent par souffrir d’isolement, de détresse et d’anxiété.  

En conclusion, la dimension psychologique de cette crise sanitaire n’est pas assez prise en compte. Dans certains pays comme la France, il semble plus facile de se faire dépister au COVID que d’avoir accès à un psychologue. Comme les étudiants n’ont souvent pas les moyens de suivre une psychothérapie a leurs frais, ils accèdent rarement aux soins dont ils ont besoin. De plus, le nombre de psychologues disponibles est bien trop faible par rapport à la demande, et les étudiants peuvent attendre des mois avant d’obtenir un rendez-vous. Selon Matt Crilly de l’Union nationale des étudiants d’Écosse*, « les établissements et prestataires de logements ont un devoir de protection envers les étudiants ; ils sont tenus de veiller sur leur santé mentale et leur bien-être psychique en cette période difficile ». Il est urgent de renforcer les mesures de prévention, aussi bien que l’accès aux soins de santé mentale pour les étudiants, ainsi que de remettre en question la façon dont les universités dispensent l’enseignement en ligne.

* La source d’information n’est disponible qu’en anglais.

 

Cet article est le cinquième d’une série de six articles intitulée : « Impact du COVID-19 sur l’enseignement supérieur : la perspective des étudiants », qui fait état de l’impact de la pandémie sur l’enseignement supérieur. À travers les témoignages de Sasha, Iris, Fiona, Quentin et d’autres, nous vous invitons à explorer les aspects principaux des expériences des étudiants, leurs difficultés, leur détresse et leurs doutes, en plus des défis auxquels sont confrontés les enseignants et le personnel universitaire. Cette série d’articles s’inscrit dans un projet d’enquête plus large de la Clinique de l'École de droit de Sciences Po sur les inégalités dans l’enseignement supérieur en France. La rédaction de cette série est chapeautée par Elodie Faïd, Fiona Vanston et Inès Girard (voir photo ci-dessous), trois étudiantes en Master Droits de l’Homme et action humanitaire à Sciences Po Paris et qui travaillent avec le Right to Education Initiative.

Pour lire les articles publiés jusqu’à présent et en savoir plus sur notre travail concernant l’enseignement supérieur, cliquez ici.

 

Elodie FaidFiona VanstonInes Girard

 

« Impact du COVID-19 sur l’enseignement supérieur : la perspective des étudiants »

 

(If you're a human, don't change the following field)
Your first name.
(If you're a human, don't change the following field)
Your first name.
(If you're a human, don't change the following field)
Your first name.