Privé de sortie : l’impact du COVID-19 sur les échanges universitaires
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Une innovation majeure que la mondialisation a apportée à l’univers de l’enseignement supérieur est l’augmentation de la mobilité académique. Chaque année, des millions d’étudiants traversent les frontières au moment d’entrer dans l’enseignement supérieur afin de découvrir une nouvelle façon d’étudier à l’étranger. Cette expérience riche d’autonomie et de nouveauté stimule leur développement personnel et leur ouvre les portes de cultures étrangères.
Avec la fermeture progressive des frontières à travers le monde, le COVID-19 a eu un impact considérable et varié sur la mobilité étudiante. L’Association internationale des universités (AIU) a mené une enquête mondiale* sur les conséquences du COVID-19 sur l’enseignement supérieur, démontrant que les expériences varient grandement selon les établissements : en effet 89 % des établissements participant à l’enquête ont confirmé que le COVID-19 avait eu un impact sur la mobilité étudiante, mais seulement 33 % ont affirmé avoir annulé tous les échanges universitaires.
Rapport de l’enquête de l’AIU sur « L’impact du COVID-19 sur l’enseignement supérieur dans le monde »
Les étudiants qui étaient à mi-parcours de leur programme d’échange lorsque la pandémie a frappé ont dû faire un choix difficile entre poursuivre leurs études à l’étranger ou rentrer chez eux. Fiona était à Berkeley, en Californie, dans le cadre d’un programme d’échange d’un an lorsque des mesures restrictives, notamment la fermeture d’universités, ont été annoncées dans son pays d’origine, la France.
« Lorsque les universités ont commencé à dispenser les cours en ligne, la situation s’est aggravée rapidement. Les pénuries dans les magasins se multipliaient, les files d’attente devant les supermarchés s’allongeaient, les gens sont devenus de plus en plus inquiets. Certains étudiants étrangers retournaient dans leur pays d’origine. »
Peu de temps avant que la France ne ferme ses universités, le président des États-Unis avait annoncé la fermeture des frontières aux Européens afin de freiner la propagation du virus. Les systèmes éducatifs et les ambassades laissaient aux étudiants la responsabilité de rester ou de partir, tout en signalant que la fermeture des frontières et le durcissement des conditions de voyage pourraient rendre les déplacements internationaux quasi-impossibles. Comme beaucoup d’autres étudiants participant à un programme d'échange, et face à une incertitude croissante, Fiona s’est retrouvée face à un choix entre finir son programme ou rentrer chez elle.
« À l’époque, les pays européens limitaient considérablement le nombre de vols vers les États-Unis et les prix montaient en flèche. Un de mes amis d’origine suisse a payé près de trois fois le prix d’un billet normal pour prendre un des derniers avions à destination de Genève. Le 23 mars, j’ai moi aussi décidé de prendre un des derniers vols pour rentrer chez moi. »
Une étude quantitative récente a interrogé les attentes des étudiants de Chine continentale et de Hong Kong concernant les études à l’étranger après le COVID-19 ; parmi les 2 739 personnes interrogées, 84 % ne manifestaient aucun intérêt pour poursuivre des études à l’étranger après la pandémie. Parmi les obstacles qu’il faut franchir pour étudier à l’étranger il faut compter : les interdictions de voyager, les restrictions en matière d’octroi de visa, les politiques de confinement dans les campus des pays de destination, ainsi que les inquiétudes des étudiants et de leurs familles sur les questions de santé et de sécurité.
L’interruption anticipée des programmes d’échange crée de nombreux problèmes, y compris d’importants défis logistiques. Pour Fiona, qui a quitté Berkeley alors que son campus était déjà presque vide, il y aussi eu des coûts importants : « J’ai dû partir précipitamment et laisser une partie de mes affaires dans mon appartement à Berkeley, sans pouvoir organiser mon départ définitif. Je n’ai pas pu sous-louer mon appartement, et j’ai donc dû payer mon loyer de 1 000 dollars jusqu’à la fin de mon séjour prévu, c’est-à-dire deux mois après mon départ. »
De fait, et malheureusement pour l’avenir des universités, les candidatures internationales risquent de dégringoler*, ce qui mettrait en péril les ressources financières des universités étant donné que les étudiants étrangers paient généralement des frais plus élevés que les autres. Ces pertes vont exacerber les problèmes financiers auxquels de nombreuses universités sont déjà confrontées en raison d’une concurrence croissante.
La plupart des universités ont des coûts fixes élevés, y compris les frais d’entretien des campus et les dépenses salariales pour le personnel, ce qui leur donne peu de marge opérationnelle pour faire face à une baisse de revenus. Les pays les plus concernés* sont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, le Japon, le Canada et l’Allemagne – pays qui attirent actuellement le plus grand nombre d’étudiants étrangers. Ces étudiants viennent principalement de Chine, d’Inde et du Brésil. Les étudiants chinois sont un de groupes les plus susceptibles de différer leurs candidatures d’un an, en raison des risques accrus liés à la pandémie mais aussi du sentiment antichinois généralisé.
Les universités d’accueil sont également soumises aux politiques gouvernementales, telles que celles concernant l’octroi de visas. Par exemple, la France a été l’un des rares pays à affirmer qu’elle continuerait d’accueillir des étudiants étrangers pendant la durée de la pandémie. Cependant, en octobre 2020 Campus France a révélé une baisse de 26 % du nombre des demandes de visas et une baisse de 29,7 % du nombre de visas octroyés par rapport à octobre 2019. La baisse du nombre de visas demandés pourrait refléter une inquiétude quant aux étudiants étrangers devant rester plus longtemps en France en raison du report des examens – ce qui pourrait entraîner des difficultés administratives ultérieures telles que la nécessité de prolonger leurs visas. Mais cette baisse pourrait également être le résultat de l’impact économique du COVID sur les étudiants et leurs familles, les obligeant à reporter ou même supprimer leurs projets de mobilité. Ou encore, il se pourrait que « la baisse du nombre de visas pour mineurs scolarisés s’explique par la non-délivrance de visas Schengen pour les accompagnants ».
La Suède semble être une exception, avec une augmentation de 13 % des admissions d’étudiants étrangers dans ses universités* malgré la pandémie de COVID-19. En effet, selon l’Institut suédois, le nombre de ce type d’admission est passé de 24 099 en 2019-2020 à 27 329 en 2020-21*. Douglas Washburn, Responsable marketing pour « Study in Sweden » (un projet de l’Institut suédois), a confié à University World News : « Les étudiants étrangers ne sont pas seulement indispensables pour la relance de l’économie suédoise après la crise du corona[virus], ils représentent également une source importante de main-d’œuvre qualifiée pour les entreprises suédoises, et ils apportent une dimension internationale cruciale dans les salles de cours des universités en Suède ».*
Cependant, il est important de noter que, face à la nécessité de s’adapter rapidement, les universités ont aussi réussi à tirer parti des défis auxquels elles étaient confrontées. Par exemple, l’apprentissage virtuel présente de nombreux avantages et plus de 60 % des établissements d’enseignement supérieur dans le monde ont développé leurs plateformes de mobilité virtuelle pendant la pandémie. Ces plateformes ont le potentiel de réduire les coûts associés aux déplacements internationaux, et peuvent donc également élargir et démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur. L’amélioration de l’infrastructure numérique et le passage à des formats d’enseignement plus mixtes et/ou à l’apprentissage en ligne peut considérablement augmenter les opportunités de mobilité pour les étudiants (entrants et sortants) mais aussi pour les universitaires.
En effet, suivre des cours en ligne dans différentes parties du monde engendre ses propres défis. Pour Fiona, le plus gros problème était le décalage horaire. « Comme mes cours en ligne correspondaient tous au fuseau horaire californien, la plupart étaient dispensés entre 18 heures et 3 heures du matin (heure française). La participation n’était pas obligatoire, mais nous savions que certains enseignants prenaient en compte l’assiduité des élèves dans leur système de notation. Je ne vivais donc pas aux mêmes horaires que ma famille et suivre des cours la nuit était parfois épuisant ; mais j’ai obtenu mon diplôme sans problème. »
En conclusion, il y aura différents types de répercussions pour les étudiants privés de mobilité académique. Les cours en ligne n’offrent pas la même expérience d’apprentissage du mode de vie. D’une part, la mobilité est une fenêtre sur le monde : elle offre aux étudiants de nouvelles expériences culturelles. De chez eux, ils ne peuvent pas vivre la vie et les expériences qu’ils avaient imaginées avoir sur le campus d’un pays étranger. De plus, il y a aussi des problèmes d’équité en termes d’accès aux technologies nécessaires pour s’engager pleinement dans l’apprentissage virtuel, ainsi que pour assurer la qualité de la programmation virtuelle. Enfin, il y a un risque que les campus en ligne soient considérés comme une expérience moins gratifiante par rapport à la mobilité physique ‘traditionnelle’. Certains étudiants investissent des années de travail pour obtenir des résultats qui puissent leur garantir une place dans un programme d’échange universitaire prestigieux : dans un contexte où tout se passe en ligne, ils risquent d’être privés du fruit de leur travail.
* La source d’information n’est disponible qu’en anglais.
Cet article est le quatrième d’une série de six articles intitulée : « Impact du COVID-19 sur l’enseignement supérieur : la perspective des étudiants », qui fait état de l’impact de la pandémie sur l’enseignement supérieur. À travers les témoignages de Sasha, Iris, Fiona, Quentin et d’autres, nous vous invitons à explorer les aspects principaux des expériences des étudiants, leurs difficultés, leur détresse et leurs doutes, en plus des défis auxquels sont confrontés les enseignants et le personnel universitaire. Cette série d’articles s’inscrit dans un projet d’enquête plus large de la Clinique de l'École de droit de Sciences Po sur les inégalités dans l’enseignement supérieur en France. La rédaction de cette série est chapeautée par Elodie Faïd, Fiona Vanston et Inès Girard (voir photo ci-dessous), trois étudiantes en Master Droits de l’Homme et action humanitaire à Sciences Po Paris et qui travaillent avec le Right to Education Initiative.
Pour lire les articles publiés jusqu’à présent et en savoir plus sur notre travail concernant l’enseignement supérieur, cliquez ici.
« Impact du COVID-19 sur l’enseignement supérieur : la perspective des étudiants »
- 1. Les étudiants au temps du COVID-19 : la génération sacrifiée ?
- 2. Les difficultés techniques liées au COVID-19 : la montée des inégalités dans l’enseignement supérieur
- 3. Que se passe-t-il lorsque les « meilleures années de votre vie » sont en réalité les plus difficiles ?
- 4. Privé de sortie : l’impact du COVID-19 sur les échanges universitaires
- 5. Santé mentale : la pandémie silencieuse dans l’enseignement supérieur
- 6. « Tous mes revenus ont disparu du jour au lendemain » : précarité financière des étudiants pendant la pandémie