Que se passe-t-il lorsque les « meilleures années de votre vie » sont en réalité les plus difficiles ?

34991210106_52ed4b0f1e_o.jpg

Attribution-NonCommercial 2.0 Generic (CC BY-NC 2.0)
© The People Speak.
Inès Girard, Fiona Vanston et Elodie Faïd
23 Juin 2021

Alors que la pandémie de COVID-19 a engendré de nombreuses difficultés pour tous les étudiants, en ce qui concerne notamment l’accès à l’enseignement en ligne et les questions de santé mentale ou de précarité économique, les étudiants de première année sont, eux, particulièrement affectés car pour ce groupe ces difficultés ont des effets aggravants.

 

De l’illusion à la réalité

Les futurs étudiants imaginent généralement l’enseignement supérieur comme un monde rempli d’expériences et de découvertes. Cependant, ceux qui ont commencé leurs études supérieures au milieu de la pandémie de COVID-19 ont eu beaucoup de désillusions.

De nombreux étudiants ressentent une lourde charge de stress et de doute sur leur avenir, car ils se sentent de plus en plus délaissés par les gouvernements. Sasha, étudiante en première année de biologie dans une université publique française, évoque ses sentiments d’insécurité et de doutes concernant son avenir. Elle a l’impression d’être en train de gâcher sa vie : « Vous vous sentez désespérer en réalisant que ce qui est censé être ‘les meilleures années de votre vie’ seront en réalité les plus difficiles. » Ce sentiment s’est aggravé, dit-elle, au moment de la réduction des cours en présentiel, et à cause d’un manque de communication claire à ce sujet. Sasha devait vérifier son emploi du temps en ligne tous les matins pour savoir si elle devait se rendre sur le campus ou si ses cours étaient sur Zoom – tout pouvait changer à la dernière minute. Son université a dû adapter ses cours en présentiel en raison du manque de matériel et d’espace dans les laboratoires pour respecter la distanciation sociale. Ils ont donc repoussé la plupart des travaux pratiques à la fin du semestre, en espérant que la situation s’améliorerait d’ici là. Cette entrée dans le monde de l’enseignement supérieur était donc complètement différente de ce à quoi Sasha s’attendait. 

Et elle n’est pas seule : dans ce qui est devenu une intervention publique notoire, Heïdi Soupault, étudiante en première année de sciences politiques à Strasbourg, a mis le projecteur sur la question par le biais d’une lettre ouverte au président de la République française. « A dix-neuf ans, j’ai l’impression d’être morte, » a-t-elle déclaré, ajoutant : « Je n’ai plus de rêves. Si on n’a ni espoir, ni perspective d’avenir à 19 ans, il nous reste quoi ? »

 

La détresse psychologique

Selon le journal Le Monde, l’entrée d’un jeune à l’université correspond à un moment de construction identitaire important, à un bouleversement dans son rapport à sa famille, et à une confrontation brutale avec la question de l’autonomie. Cette transition peut donc représenter une période de vulnérabilité. En réalité, de nombreux étudiants souffrent de détresse psychologique, et les plus jeunes sont les plus vulnérables. Un article publié par Radio France Internationale (RFI)* fait état d’une détresse importante chez les 18-20 ans, avec une augmentation du chiffre de leurs admissions dans les services de psychiatrie. L’article met en évidence la vulnérabilité particulière des étudiants de première année et cite Stéphane Jettot, professeur d’histoire à l’Université Paris-Sorbonne : « Ces étudiants de première année sont les plus fragiles ; ce sont eux qui ont le plus besoin d’aide », dit-il. Ryan Kennedy, un étudiant de 19 ans en première année de droit à Montpellier, a expliqué l’étendue des troubles de santé mentale à la BBC* : « Je vis seul dans un studio depuis le mois de septembre – c’est la première fois que je vis seul. (...) Il ne se passe pas un seul jour sans qu’un ami m’appelle parce qu’il ne va pas bien psychologiquement. » Comme beaucoup d’autres étudiants, Sasha estime que le problème le plus difficile à gérer est la détresse psychologique : « On se sent seul. On se sent abandonné », dit-elle.

Les étudiants de première année sont particulièrement touchés par la solitude car le passage aux cours en ligne les empêche de socialiser. Ils n’ont donc pas pu participer aux activités qui se déroulent habituellement en début de cursus pour faire connaissance avec leurs pairs ou s’impliquer dans des associations étudiantes. Pour Sasha, c’est au moment du deuxième confinement qu’elle s’est rendu compte à quel point elle se sentait isolée dans ses études. Les cours ont basculé en ligne dès octobre, avant qu’elle n’ait eu le temps de nouer de « vraies amitiés ». Elle note : « Les élèves ne parlaient pas entre eux, à part ceux qui se connaissaient déjà depuis le lycée. »

Des expériences semblables ont été documentées dans les médias français : le journal Le Monde rapporte les propos de Raoul, étudiant en première année d’école d’ingénieurs, qui ne voyait les autres étudiants qu’à travers un écran. Il a déclaré au journal : « On ne s’est pas intégrés. Je me suis retrouvé à Paris sans connaître une seule personne. Ça m’a terrifié. »

 

Décrochage

Privés de cours en présentiel, les étudiants de première année n’ont pas non plus eu l’occasion d’apprendre les codes de l’enseignement supérieur. Sasha a expliqué que les étudiants de première année sont censés s’informer sur les droits et les devoirs du ‘bon étudiant’, mais qu’elle n’avait pas pu le faire. En outre, est-ce normal que de nombreux étudiants en France aient dû passer des examens ‘en personne’ sans avoir fait plus d’une ou deux semaines de cours en personne tout au long de l’année ?

De plus en plus d’étudiants de première année abandonnent les cours* parce qu’ils n’ont pas pu profiter pleinement de la vie étudiante à laquelle ils s’attendaient – par exemple en rencontrant des gens, en découvrant de nouvelles façons d’apprendre, de travailler et de se développer – mais aussi parce qu’ils n’arrivent pas à rester concentrés sur leurs études dans le contexte actuel. Ce phénomène aussi a été documenté par RFI : le fait que les difficultés rencontrées par les étudiants de première année – non seulement les études à distance mais aussi le sentiment d’isolement qui en découle – ont conduit beaucoup d’entre eux à abandonner l’université, certains se tournant vers un travail rémunéré*.

En conclusion, alors que la pandémie de COVID-19 a eu de nombreuses conséquences pour les étudiants à tous les niveaux, les étudiants de première année sont dans une situation particulièrement vulnérable, car ils sont préjudiciés par l’isolement à un moment formateur et donc crucial de leur vie.

* La source d’information n’est disponible qu’en anglais.

 

Cet article est le troisième d’une série de six articles intitulée : « Impact du COVID-19 sur l’enseignement supérieur : la perspective des étudiants », qui fait état de l’impact de la pandémie sur l’enseignement supérieur. À travers les témoignages de Sasha, Iris, Fiona, Quentin et d’autres, nous vous invitons à explorer les aspects principaux des expériences des étudiants, leurs difficultés, leur détresse et leurs doutes, en plus des défis auxquels sont confrontés les enseignants et le personnel universitaire. Cette série d’articles s’inscrit dans un projet d’enquête plus large de la Clinique de l'École de droit de Sciences Po sur les inégalités dans l’enseignement supérieur en France. La rédaction de cette série est chapeautée par Elodie Faïd, Fiona Vanston et Inès Girard (voir photo ci-dessous), trois étudiantes en Master Droits de l’Homme et action humanitaire à Sciences Po Paris et qui travaillent avec le Right to Education Initiative.

Pour lire les articles publiés jusqu’à présent et en savoir plus sur notre travail concernant l’enseignement supérieur, cliquez ici.

 

Elodie FaidFiona VanstonInes Girard

 

« Impact du COVID-19 sur l’enseignement supérieur : la perspective des étudiants »

 

(If you're a human, don't change the following field)
Your first name.
(If you're a human, don't change the following field)
Your first name.
(If you're a human, don't change the following field)
Your first name.