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Black and white image of a food bank warehouse
"Food Bank" by Steve Rhodes
Licensed under CC BY-NC-ND 2.0
Inès Girard, Fiona Vanston et Elodie Faïd
29 Juillet 2021

Dans notre dernier article, nous avons abordé la question de l’impact du COVID-19 sur la santé mentale des étudiants. Nous avons souligné la façon dont les difficultés financières augmentent le risque de troubles de santé mentale, ainsi que la façon dont la pandémie de COVID-19 a aggravé la précarité financière des étudiants.

Cette précarité est un facteur de risque important pour les problèmes de santé mentale*, et la crise de COVID-19 a créé des difficultés économiques pour de nombreux étudiants, principalement en raison de la diminution des possibilités d’emploi pour les étudiants après l’adoption de mesures de confinement partout dans le monde. Selon une étude réalisée pour le syndicat des étudiants français, FAGE, 72 % des étudiants qui avaient une activité rémunérée avant la pandémie ont vu leurs contrats modifiés ou interrompus. De même, une étude du Bureau des statistiques nationales du Royaume-Uni (Office of National Statistics)* a montré que des secteurs tels que la vente au détail et l’hôtellerie, qui fournissent de nombreux emplois étudiants, ont été parmi les plus touchés par les mesures sanitaires, avec une baisse de 65 à 90 % des opportunités.

« Le COVID-19 a-t-il aggravé ma situation étudiante ? C’est très simple, j’ai perdu mes deux jobs d’un coup : serveuse et caissière dans un petit commerce. Tous mes revenus ont disparu du jour au lendemain, tandis que les coûts exorbitants des loyers et des courses (coûts caractéristiques des grandes villes), et même les frais de scolarité, sont restés les mêmes, » explique Iris, étudiante à Lyon. 

Cette perte de revenus a considérablement réduit les ressources financières des étudiants qui ont désormais beaucoup de mal à se nourrir convenablement, payer leur loyer, ou accéder aux soins de santé. Selon l’étude FAGE, les trois quarts des jeunes de 18 à 25 ans déclarent avoir rencontré des difficultés financières au cours des trois derniers mois, et 54 % déclarent avoir des difficultés à payer leur loyer.

« Au début du confinement, c’était très compliqué. Je donnais des cours particuliers à deux enfants, et bien évidemment les parents n’ont plus voulu que je vienne chez eux. Et ils n’ont pas voulu passer aux cours en ligne. Du jour au lendemain, j’ai perdu 80 euros par semaine, c’est-à-dire 240 euros par mois, soit plus de la moitié de mon budget loyer. J’ai de la chance, j’ai pu compter sur le soutien financier de mes parents, mais je me sens coupable de leur demander ça à 23 ans, surtout qu’ils doivent aider ma sœur qui a elle aussi perdu son job étudiant, » raconte Alexia, étudiante à l’Institut d’études politiques de Lyon.

La situation est pire pour ceux dont les parents ont également été impactés professionnellement, aggravant ainsi les inégalités économiques qui existaient déjà parmi les étudiants et au niveau de la société plus généralement. Les étudiants en situation de précarité doivent trouver des solutions à court terme* pour joindre les deux bouts : certains vendent leurs vêtements, d’autres trouvent de multiples petits boulots mal payés, ce qui leur prend beaucoup de temps et peut mettre en péril leur réussite scolaire.

Un étudiant s’est confié à BBC News* : « Les gens ne se rendent pas compte. Ils considèrent les étudiants comme des jeunes qui sortent pour faire la fête et gaspiller leur argent. La plupart de mes amis à l’université ne sont pas sortis une seule fois, à cause de leur situation financière, même avant le confinement. »

Plus inquiétants encore sont les impacts sur la santé de ces difficultés financières. Alors que certains étudiants ne peuvent déjà pas accéder à des soins de santé hors de prix, certains mettent leur santé en danger par des choix devenus inévitables en raison de leur situation économique. En effet, ils ressentent trop de « honte » pour reconnaître la précarité de leur situation et, ne souhaitant pas aggraver celle de leurs parents, ils expliquent qu’ils préfèrent se limiter à un repas par jour plutôt que de demander de l’aide à leurs proches – cachant ainsi la réalité de leur situation à leurs parents, leurs amis et le personnel de l’université. L’étude FAGE mentionnée ci-dessus souligne que 53 % des étudiants ont du mal à maintenir une alimentation saine. Ces derniers mois, des milliers de jeunes se sont tournés vers les associations caritatives et l’aide alimentaire fournie par le gouvernement. Pendant ce temps, dans les grandes villes, de longues files d’attente peuvent être observées devant les installations de distribution de nourriture dédiées aux étudiants. Un étudiant du Mans a déclaré : « Sans job étudiant, il me restait 30 euros par mois pour manger ».

Un rapport de l’UNEF, un syndicat étudiant en France,  souligne le poids des frais de logement dans le budget étudiant. Le loyer constitue la principale dépense pour beaucoup, représentant près de 70 % du budget mensuel d’un étudiant français. Ainsi, toute baisse des ressources financières aura nécessairement un impact fort sur la capacité des étudiants à payer leurs loyers. Étant donné que le coût du logement est particulièrement élevé pour les étudiants venant de régions éloignées des grandes villes où se trouvent principalement les universités, ces derniers se sont retrouvés les premiers dans une situation de plus en plus précaire. En outre, en raison des mesures sanitaires, de nombreux étudiants continuent de payer un loyer pour des logements qu’ils ne peuvent plus utiliser. En Angleterre, cela a conduit les étudiants à manifester pour une réduction des loyers*. Si certaines universités accordent des aides financières aux étudiants, comme l’université de Manchester qui a proposé une baisse des loyers pour la moitié de l’année*, ce genre de mesures reste exceptionnel.

L’augmentation dramatique du nombre d’étudiants en difficulté financière, et le fait que beaucoup d’entre eux se trouvaient déjà dans des situations particulièrement précaires, ont eu des conséquences sans précédent sur les inégalités existantes dans l’enseignement supérieur. Les étudiants en difficulté financière sont certainement plus susceptibles d’abandonner leurs études pour trouver un travail rémunéré et pouvoir ainsi subvenir à leurs besoins. De même, les étudiants issus de foyers à faible revenu* sont plus susceptibles de reconsidérer leurs projets d’études secondaires pour essayer plutôt de trouver des petits boulots qui leur permettent d’aider leurs familles en difficulté. De tels développements auraient un impact sérieux sur les inégalités socio-économiques en matière d’éducation, renforçant l’absence des plus pauvres au sein du système censé leur garantir une sortie du cycle de la pauvreté, tout en favorisant à nouveau les plus privilégiés.

De même, certains étudiants expliquent qu’ils sont contraints de revoir leurs projets et leurs aspirations professionnelles s’ils veulent être en mesure de poursuivre leurs études supérieures. Ainsi, Kouassi Jean David, étudiant au Mans (France), a confié à Ouest France qu’il a choisi de se réorienter vers une licence de physique-chimie en septembre 2020. Il poursuivait auparavant son rêve d’enfant d’étudier l’ingénierie aéronautique, mais avec la crise il n’a plus eu les moyens de payer les frais de scolarité élevés de 6 000 € par an. Il a déclaré au journal qu’il aurait préféré devenir ingénieur mais que ce n’était plus possible, car ses frais universitaires s’élevaient à 420 euros par mois, et il recevait 450 euros mensuels de sa famille. Etant dans l’impossibilité de trouver un job étudiant, il a ainsi été contraint de changer de filière pour s’acquitter de « son obligation de réussite » envers ses parents restés en Côte d’Ivoire et qui ont consenti d’énormes sacrifices pour permettre à leur fils d’étudier en France.

En conclusion, les ramifications économiques de la pandémie ont des conséquences multiples et variées pour les étudiants, tant au niveau de leur vie quotidienne que de leurs choix professionnels. Ces impacts se feront probablement sentir à la fois dans le futur proche et dans les années à venir, car changer de carrière à contre-cœur, ou sacrifier sa santé et son bien-être peuvent avoir des répercussions considérables au long terme.

* La source d’information n’est disponible qu’en anglais.

 

Cet article est le sixième et dernier d’une série de six articles intitulée : « Impact du COVID-19 sur l’enseignement supérieur : la perspective des étudiants », qui fait état de l’impact de la pandémie sur l’enseignement supérieur. À travers les témoignages de Sasha, Iris, Fiona, Quentin et d’autres, nous vous invitons à explorer les aspects principaux des expériences des étudiants, leurs difficultés, leur détresse et leurs doutes, en plus des défis auxquels sont confrontés les enseignants et le personnel universitaire. Cette série d’articles s’inscrit dans un projet d’enquête plus large de la Clinique de l'École de droit de Sciences Po sur les inégalités dans l’enseignement supérieur en France. La rédaction de cette série est chapeautée par Elodie Faïd, Fiona Vanston et Inès Girard (voir photo ci-dessous), trois étudiantes en Master Droits de l’Homme et action humanitaire à Sciences Po Paris et qui travaillent avec le Right to Education Initiative.

Pour lire les articles publiés jusqu’à présent et en savoir plus sur notre travail concernant l’enseignement supérieur, cliquez ici.

Elodie FaidFiona VanstonInes Girard

 

« Impact du COVID-19 sur l’enseignement supérieur : la perspective des étudiants »

 

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