La déclaration en début d’année du ministre de l’éducation du Libéria concernant ses intentions de sous traiter la gestion de tous ses établissements préscolaires et primaires à des prestataires privés a suscité de vifs débats sur les partenariats éducatifs public-privé (PPP, pris au sens ici de financement étatique des écoles privées).
Un point de vue sur les PPP qui est rarement envisagé en détail dans ce débat est l’aspect juridique relatif aux droits humains. Cependant, pratiquement tous les États du monde ont ratifié au moins un traité les obligeant à garantir le droit à l’éducation, et beaucoup d’entre eux protègent également ce droit dans leur système juridique national, ce qui le rend juridiquement contraignant presque partout dans le monde. Si un PPP viole les droits humains, cela serait non seulement contraire à l’éthique, et créerait alors un risque de réputation élevé pour les États tout comme pour les entrepreneurs privés, mais serait aussi illégal, ce qui constitue un risque juridique important pour les parties impliquées. Dans la mesure où le droit à l’éducation est de plus en plus revendiqué auprès des cours de justice et utilisé par les juges pour examiner la légalité des politiques des pays, les PePP qui l’affaiblissent pourraient même être annulés par les tribunaux.
L'interprétation de la mise en oeuvre du cadre des droits humains dans les PPP est en train de faire surface, et des conclusions définitives ne peuvent pas encore être tirées. Cependant, un nombre de déclarations interprétatives récentes faites par des organes quasi-judiciaires ont permis le développement d'un ensemble de cinq domaines initiaux pour évaluer l'implication privée dans l'éducation contre les droits humains, y compris par le biais de PPP. Ces domaines ont été développés collaborativement par le Right to Education Project, la Global Initiative for Economic Social and Cultural Rights et plusieurs partenaires.
Ce qui ressort de ce travail est que les PPP ne sont en principe pas compatibles avec la législation en matière de droits humains. Alors que les États ont l'obligation de garantir une éducation de base gratuite et de qualité, les textes relatifs aux droits humains fournissent aux gouvernements un certain degré de liberté sur la façon d'atteindre cet objectif. La question est alors de déterminer sous quelles conditions les PPP peuvent respecter les exigences en matière de droits humains. Il est évident qu’un PPP ne doit jamais nuire à aucun des cinq domaines cités ci-dessus, mais qu’est-ce que cela signifie concrètement dans les faits?
Pour démarrer la discussion, nous proposons 6 facteurs éventuels permettant de déterminer les conditions nécessaires aux PPP pour respecter la législation en matière de droits humains:
- Tenir compte du fait que le PPP est utilisé pour privatiser ou médiatiser: Les PPP n’impliquent pas nécessairement une privatisation de l’éducation. En fait, dans des endroits où les écoles privées sont déjà dominantes, tels que la plupart des quartiers informels, ou là où le secteur public est largement absent, comme c’est souvent le cas dans les régions rurales appauvries des pays en développement, un PPP pourrait mener à une éducation relativement plus publique, et amener l’État à prendre plus de responsabilités vis à vis du statut de l’éducation. Ils devraient être conçus adéquatement comme délégation de service public (avec des écoles existantes ou récemment mises en service), en transférant le financement de l’éducation des familles à l’État. Nous en avons vu des exemples dans plusieurs pays du nord au cours du 19 ème et du 20 ème siècle, de la France aux Pays-Bas.
- Structurer les PPP pour renforcer le système public: Hormis les exemples de PPP mis en place spécifiquement pour soutenir la diversité en général ou dans certains contextes (par exemple les écoles pour les groupes minoritaires), les PPP doivent aider à mettre en oeuvre le droit à une éducation gratuite et de qualité dans des cas où l'État n'a pas la capacité immédiate de bien le faire autrement, et contribuent au renforcement de ces capacités. Par conséquent, les PePP doivent être régulièrement réévalués par rapport aux capacités de l'État et évalués pour leurs bénéfices en termes de mise en oeuvre du droit à l'éducation – et stoppés lorsqu'ils ne sont pas utiles ou lorsque l'État peut faire aussi bien ou mieux par lui même. Il devrait exister un plan pour rendre à l'État le plus vite possible les écoles soumises à un accord PPP.
- Choisir les bons partenaires: différents partenaires peuvent répondre aux besoins de situations différentes et devraient être évalués en conséquence. Il est très peu probable que les écoles à caractère commercial, tel que l'ont montré les écoles sous contrat à but lucratif aux États-Unis, apportent une valeur ajoutée à un système éducatif tout en protégeant la vision humaniste de l'éducation garantie par le droit à l'éducation.
- Réguler, contrôler, et appliquer: Il doit y avoir un cadre réglementaire solide avant tout PPP. Le partenariat doit être strictement conforme à ce cadre, et il doit garantir l'intérêt public. Cela peut être un réel défi où des organisations dotées d'importantes ressources telles que les compagnies multinationales, négocient avec les États qui ont des capacités ou informations limitées. Il est essentiel que les États aient également la capacité de surveiller et appliquer le cadre réglementaire et l'accord de partenariat, et tenir les partenaires responsables. Ce point est souvent négligé, pourtant des cas tels que les PPP en Haiti montrent à quel point cela est difficile et nécessaire. Les PPP ne peuvent pas et ne devraient pas être utilisés comme une solution facile de résolution des problèmes: ils demandent des efforts importants.
- Créer un processus transparent: les débats sur le cadre réglementaire applicable et les négociations de tous les termes des accords PPP doivent être publics et transparents. Les évaluations des incidences sur les droits humains de l’accord doivent en particulier être réalisées avant et au cours du partenariat par des évaluateurs réellement indépendants, rendues publiques, et utilisées pour procéder régulièrement à de nouvelles évaluations et, si nécessaire, adapter la politique.
- Limiter l’implication des écoles privées: Pour garantir que les PPP ne freinent par les investissements dans l’instruction publique, et pour maintenir un contrôle démocratique sur le système éducatif, la partie des écoles privées sous PPP et la partie de tous prestataires devrait être limitée, aux niveaux national et régional. Il n’existe pas de norme internationale sur ce point, et là encore, cela peut varier d’un contexte à l’autre. Néanmoins, la discussion pourrait être lancée à partir de l’exemple suivant: une limitation, protégée par la loi, de pas plus de 15% d’écoles sous PPP, conjointement avec une limite de 10% de tous prestataires au sein de ces 15%, est ce qui est pratiqué (mais ce n’est pas la loi) en France. Cela pourrait peut-être permettre l’existence des PPP tout en garantissant un contrôle démocratique.
Chacun de ces points est relié à un principe juridique relatif aux droits humains, qui n’est pas discuté ici en raison de contraintes d’espaces. Ceci dit, dans la mesure où ce qui est cité ci-dessus est une liste de facteurs ni définitive, ni exhaustive. Elles ont au contraire l’objectif d’ouvrir la discussion avec les États, les acteurs privés, les investisseurs, les OSC et d’autres parties, ce qui offre un égard nécessaire aux droits humains. Cela devrait permettre de développer une réflexion pragmatique sur les PPP garantissant également une dignité humaine et un État de droit.
Sylvain Aubry est un consultant indépendant en matière de droits humains basé à Nairobi, au Kenya, d’où il travaille pour plusieurs organisations. Il travaille actuellement avec la Global Initiative for Economic, Social and Cultural Rights, the Right to Education Project, et plusieurs autres partenaires mondiaux et nationaux sur un projet de recherche et de plaidoyer sur la privatisation et le droit à l’éducation. Si vous souhaitez vous impliquer, veuillez le contacter sur: sylvain@globalinitiative-escr.org
Ce blog a initialement été publié sur le World Education Blog et a été reproduit avec leur autorisation. Vous pouvez accéder au texte original, ici.
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