L’accès à une connexion Internet fiable est devenu de plus en plus important au cours de cette dernière année, car une grande partie des aspects de la vie quotidienne se déroulent dorénavant en ligne, et non en personne, en raison des effets dévastateurs de la pandémie dans le monde. Pourtant, de nombreux étudiants font face à des obstacles technologiques importants depuis l’apparition du COVID-19, qui a ainsi aggravé les inégalités existantes concernant l’accès numérique.
Pour Quentin, étudiant en première année du programme de Master en Information et Communication de l’Institut Catholique de Paris, la connectivité Internet et l’apprentissage numérique se sont avérés être des obstacles importants entravant sa capacité à étudier. A la rentrée, Quentin habitait chez ses parents dans une petite ville du Val d’Oise à seulement 30 km de Paris (Saint Martin, environ 3 000 habitants). Début septembre, l’administration de sa faculté a annoncé que les cours auraient lieu sur le campus une semaine sur deux, et seraient dispensés en ligne les autres semaines. Au départ, cet aménagement semblait fonctionner : lorsqu’il se sentait isolé pendant la semaine des cours en ligne, il pensait à la semaine à venir où il serait sur le campus. Quentin était donc assez heureux, alternant une semaine avec de longs trajets vers le campus et une semaine à la maison. Mais à la mi-octobre, ce système a été interrompu à cause du deuxième confinement et tout a basculé vers les cours exclusivement en ligne. Il n’avait alors eu que cinq semaines de cours en présentiel. Les vrais défis restaient encore à venir. Le passage à l’apprentissage en ligne a eu des conséquences importantes pour Quentin, en termes d’accès à l’enseignement supérieur, de qualité de l’enseignement, mais aussi d’isolement social.
Problèmes techniques et de connectivité
Le passage aux cours en ligne et à l’apprentissage à distance a soulevé des problèmes techniques et exercé une pression particulière sur les étudiants issus de milieux défavorisés et marginalisés. L’éducation numérique a exacerbé les inégalités entre les élèves et créé de graves problèmes d’accessibilité et d’équité.
L’accès à la technologie, à une connexion Internet fiable et opérationnelle, et à un espace calme et propice à l’étude, sont des conditions nécessaires à l’apprentissage à distance pour les étudiants confinés chez eux. Mais tous les étudiants de l’enseignement supérieur ne bénéficient pas de ces conditions de travail.
Les disparités existantes entre les étudiants se sont aggravées, notamment celles qui étaient liées au statut socio-économique et à l’origine territoriale*. Par exemple, la Conférence nationale des parlements des Etats (National Conference of State Legislature, NCSL) a signalé que 20 % des étudiants aux États-Unis ont du mal à accéder à des technologies efficaces – telles que des ordinateurs portables et une connexion Internet à haut débit qui soient fiables* – afin de poursuivre leurs études supérieures en ligne. Les étudiants vivant dans des zones reculées ou rurales en particulier ont eu du mal à bénéficier des avantages de l’enseignement numérique. Des cas ont été signalés d’étudiants qui n’ont pas pu suivre les cours à cause d’une connexion Internet faible ou instable, de ressources inadéquates telles que des ordinateurs portables qui buggent en permanence, ou de l’absence d’un environnement calme où ils puissent étudier. Quentin, dont nous avons parlé plus haut et qui habite dans une petite ville française, a partagé son expérience avec nous :
« A Saint-Martin, la connexion Internet pose problème, même si nous ne sommes qu’à 30 kilomètres de Paris. J’ai raté cinq ou six cours parce que je n’arrivais pas à me connecter. C’était encore plus compliqué quand les profs nous demandaient de mettre la vidéo ; ma connexion est trop faible pour les appels vidéo. L’apprentissage en ligne a aussi rendu plus difficile l’accès aux supports pédagogiques. Par exemple, l’autre jour, il m’a fallu une heure et demie pour télécharger un simple fichier. »
De bonnes pratiques ont été mises en place dans certains États et universités pour atténuer ces problèmes. Par exemple, l’Université de Strasbourg en France a distribué plus d’une centaine d’ordinateurs à des étudiants en difficulté, et l’Irlande a investi 15 millions d’euros dans du matériel informatique* pour les étudiants à revenus modestes. Cependant, l’impact de ces mesures reste minime et le besoin de réduire la fracture numérique est sans doute plus urgent que jamais*.
Conditions de travail
L’enseignement en ligne a également amené les étudiants à passer de longues heures dans leurs chambres ou leurs appartements. Le succès de leur apprentissage dépend de leur accès à un espace de travail calme et adapté. Là encore, les disparités entre les étudiants issus de milieux économiques différents ont été exacerbées, car l’accès à un espace de travail approprié est fortement lié au statut socio-économique. En effet, aller à l’université permet à certains étudiants défavorisés d’échapper aux difficultés auxquelles ils font face dans leur environnement familial*. Pendant le confinement, de nombreux étudiants se sont retrouvés seuls dans de minuscules studios jour et nuit, ce qui a affecté leur capacité à étudier ainsi que leur santé mentale.
Impact sur la qualité des cours et les opportunités de la vie étudiante
Comme le souligne une étude de l’Association internationale des universités (AIU)*, « le passage de l’enseignement en présentiel à l’enseignement à distance ne s’est pas fait sans défis : les principaux étant l’accès à l’infrastructure technique, l’accès aux compétences et aux pédagogies de l’enseignement à distance et les exigences spécifiques aux différents champs d’études ». En effet, l’enseignement en ligne ne garantit pas toujours le niveau de qualité offert par l’enseignement en présentiel :
Plus que jamais la qualité d’un cours dépend de la motivation des enseignants et de leur maîtrise des outils numériques. Or, selon le rapport de l’AIU, « la mesure dans laquelle les enseignants sont prédisposés et préparés à relever ce défi varie énormément selon les personnalités »* [notre traduction]. Alors que certains enseignants font preuve de créativité dans le choix de leurs ressources et adaptent leurs cours au format numérique, d’autres mettent simplement leurs présentations PowerPoint en ligne et limitent les interactions avec les étudiants. L’absence de structure spécialisée, au niveau de l’administration des établissements, pour aider les enseignants à développer leurs compétences numériques a aussi contribué au fait qu’un enseignement de qualité n’a pas pu être maintenu uniformément.
En outre, les formidables opportunités qui sont habituellement offertes aux étudiants de l’enseignement supérieur de, par exemple, travailler en groupes ou s’engager dans des associations étudiantes, sont maintenant limitées. Quentin note : « C’est dur en ligne. On ne peut pas discuter facilement ; c’est compliqué de travailler en groupe. Pour se comprendre, ce n’est pas pareil, ça prend beaucoup de temps. Quelque chose qui peut normalement se faire en une heure en temps prend facilement le double quand on le fait sur Zoom. Face à face, on est constructifs, nos idées fusent et s’échangent rapidement. Ce n’est pas possible en ligne. »
Engagement et charge de travail
Selon un rapport du gouvernement australien*, « une très grande proportion de personnes interrogées ont déclaré que l’apprentissage en ligne ne leur avait pas plu, et qu’elles ne souhaitaient plus jamais en faire l’expérience » [notre traduction]. L’enseignement numérique est vécu par de nombreux étudiants comme un calvaire. Certains se sentent moins motivés dans leurs études ; ils sont frustrés et ont du mal à gérer leur charge de travail, qui semble avoir augmenté. Comme le dit Quentin : « Tout le monde dans ma classe en a marre. On n’en peut plus. On a l’impression qu’on est constamment en train de travailler, que ça ne s’arrête jamais. La monotonie de nos vies est très lourde à porter ; ce que nous n’aurions jamais réalisé dans des circonstances normales. Ce qui est pénible, c’est que les enseignants attendent de nous la même qualité de travail. »
Conclusion
Le passage à l’enseignement en ligne a eu de nombreuses conséquences ; et les étudiants défavorisés et marginalisés sont ceux qui souffrent le plus de ces bouleversements. Alors que les inégalités empêchaient déjà la réalisation du droit à l’enseignement supérieur pour tous, la pandémie de COVID-19 a exacerbé ces disparités au sein du corps étudiant, notamment en termes d’accès à l’enseignement et de qualité de l’enseignement reçu. L’enseignement en ligne limite les opportunités pédagogiques pour certains groupes d’étudiants qui sont confrontés à des obstacles supplémentaires liés à leur statut socio-économique et qui voient ainsi l’écart qui les sépare de leurs pairs se creuser davantage.
Cette pandémie a souligné la nécessité de développer des politiques qui réduisent la fracture numérique et améliorent la manière dont l’enseignement en ligne est dispensé. Les étudiants doivent avoir un meilleur accès à un enseignement supérieur de qualité, mais aussi être mieux préparés et accompagnés pour travailler en ligne, surtout si le COVID-19 continue à affecter nos vies pour les années à venir.
* La source d’information n’est disponible qu’en anglais.
Cet article est le deuxième d’une série de six articles intitulée : « Impact du COVID-19 sur l’enseignement supérieur : la perspective des étudiants », qui fait état de l’impact de la pandémie sur l’enseignement supérieur. À travers les témoignages de Sasha, Iris, Fiona, Quentin et d’autres, nous vous invitons à explorer les aspects principaux des expériences des étudiants, leurs difficultés, leur détresse et leurs doutes, en plus des défis auxquels sont confrontés les enseignants et le personnel universitaire. Cette série d’articles s’inscrit dans un projet d’enquête plus large de la Clinique de l'École de droit de Sciences Po sur les inégalités dans l’enseignement supérieur en France. La rédaction de cette série est chapeautée par Elodie Faïd, Fiona Vanston et Inès Girard (voir photo ci-dessous), trois étudiantes en Master Droits de l’Homme et action humanitaire à Sciences Po Paris et qui travaillent avec le Right to Education Initiative.
Pour lire les articles publiés jusqu’à présent et en savoir plus sur notre travail concernant l’enseignement supérieur, cliquez ici.
« Impact du COVID-19 sur l’enseignement supérieur : la perspective des étudiants »
- 1. Les étudiants au temps du COVID-19 : la génération sacrifiée ?
- 2. Les difficultés techniques liées au COVID-19 : la montée des inégalités dans l’enseignement supérieur
- 3. Que se passe-t-il lorsque les « meilleures années de votre vie » sont en réalité les plus difficiles ?
- 4. Privé de sortie : l’impact du COVID-19 sur les échanges universitaires
- 5. Santé mentale : la pandémie silencieuse dans l’enseignement supérieur
- 6. « Tous mes revenus ont disparu du jour au lendemain » : précarité financière des étudiants pendant la pandémie
Elodie Faïd - étudiante en Master Droits de l’Homme et action humanitaire à Sciences Po Paris
Fiona Vanston - étudiante en Master Droits de l’Homme et action humanitaire à Sciences Po Paris
Inès Girard - étudiante en Master Droits de l’Homme et action humanitaire à Sciences Po Paris
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