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© 2016 Bassam Khawaja/Human Rights Watch
Bill Van Esveld - @billvanesveld, Elin Martinez - @Martinez_Elin, Bassam Khawaja - @Bassam_Khawaja
21 Décembre 2016

Amin, 18 ans, est devenu un réfugié lorsque sa famille a fui la Syrie pour le Liban il y a cinq ans. Il n’a pas été à l’école depuis. Avec un père ne réussissant pas à obtenir un statut légal ou un emploi, Amin a dû maintenir la famille de sept. Élève de 7ème année (cinquième) au moment de quitter son école à Homs, il est devenu ouvrier du bâtiment à l’âge de 13 ans, transportant des blocs de ciment pour la construction d’immeubles. “Cela fait cinq ans que je suis ici et j’ai perdu cinq ans de ma vie” dit-il.

Chaque jour en 2015, environ 17 000 enfants fuient leur foyer à cause de conflits et persécutions. Les enfants déplacés de force, y compris les réfugiés, ont droit à un enseignement secondaire de qualité ouvert et accessible, sans discrimination. L’école peut les protéger, fixer une routine normale vitale pour la guérison, créer des opportunités économiques, et nourrir l’espoir. 

Mais pour de nombreux enfants plus âgés, aller à l’école est impossible.

D’après l’Agence des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR), la moitié des 3,5 millions d’enfants réfugiés dans le monde en âge d’aller à l’école primaire sont scolarisés, mais moins d’un quart des 1,95 million d’enfants en âge d’aller à l’école secondaire y vont. Dans des pays comme le Pakistan et le Liban, les inscriptions chutent à 5 pour cent à peine.

La situation est pire pour les filles: dans le monde, seulement 7 filles pour 10 garçons réfugiés vont à l’école secondaire. Les enfants déplacés de force qui souffrent d’un handicap sont souvent complètement exclus.

Les problèmes, et solutions, sont la base des politiques concernant le financement et les réfugiés. Mondialement, moins de 2 pour cent des dons sont attribués à l’éducation dans les situations d’urgence; à cela, une portion beaucoup plus importante est attribué à l’éducation primaire qu’à l’éducation secondaire. Les ressources inadaptées coïncident avec des politiques restrictives des pays d’accueil concernant les réfugiés qui touchent souvent davantage les enfants à l’adolescence. Certains pays d’accueil leur refusent simplement le droit à s’inscrire dans des écoles secondaires en dehors des camps de réfugiés.

Les enfants ayant suivi un cursus secondaire sont généralement plus sains, et ont plus de chances de trouver du travail une fois adultes et d’échapper à la pauvreté. Ceux qui abandonnent l’école pourront être confrontés à des travaux risqués, au mariage précoce et à la violence sexuelle, au harcèlement par les forces de sécurité étatiques, et au ciblage et recrutement des groupes armés.  

L’échec par les donateurs et les pays d’accueil à assurer un enseignement secondaire pour les enfants et les adolescents déplacés risque d’affaiblir le développement économique. Cela prive les enfants en âge d’être scolarisés au niveau secondaire des compétences dont ils ont besoin pour contribuer aux communautés d’accueil, ou à la leur s’ils rentrent chez eux - avec des répercussions sur leur sécurité et stabilité.

Enseignement secondaire et conflit

L’éducation fait la promotion de la stabilité: elle fournit aux enfants des outils pour la résolution pacifique de conflits, et fait accroître la productivité. Il a été démontré qu’un enseignement secondaire de qualité encourage la tolérance, favorise la confiance en la démocratie, et aide à résister au recrutement en faveur de l'extrémisme violent.

Des niveaux élevés d’inscription à l’école secondaire pourraient même réduire la probabilité de guerre civile, alors que ne pas fournir d’éducation aux adolescents déplacés en situations critiques peut entraver les efforts de reconstruction.  

Cependant, l’éducation est souvent l’une des premières victimes lorsque les enfants sont forcés de fuir pour leur sécurité. Les enfants et leurs familles ont fui la Somalie à cause du recrutement forcé et des enlèvements d’enfants par les acteurs du conflit. Les taux d’abandon scolaire auraient atteint 50 pour cent en 2010.

L’impact du conflit est particulièrement lourd sur l’enseignement secondaire, qui nécessite des ressources spécialisés, y compris les enseignants, qui sont difficiles à trouver en situation de crise. De plus, les adolescents déplacés de force qui ont abandonné l’école sont peu susceptibles d’y retourner.  

Certaines réponses gouvernementales n’ont fait qu’aggraver le problème.

Au Nigéria, le gouvernement n'a pas adéquatement protégé les écoles des attaques du groupe extrémiste Boko Haram ("l'éducation occidentale est interdite"). Un enseignant a expliqué à Human Rights Watch en 2015 que son école d'enseignement secondaire était devenue "un lieu de massacre de Boko Haram… chaque personne qui tombait entre leurs mains était amenée à l'école et tuée." Dans les États touchés par le conflit, moins de 90 000 sur près de  590 000 enfants déplacés en âge d'être scolarisés ont accès à l'éducation.

Aggravant le problème, le gouvernement du Nigeria a fermé aussi bien les écoles primaires que les écoles secondaires afin que les forces de sécurité les utilisent comme postes d’interventions ou baraquements, violant ainsi son propre engagement vis à vis de la Déclaration sur la sécurité dans les écoles signée en 2015.  

Négligée en sous-financée

Les enquêtes successives ont révélé que les réfugiés identifient l’éducation comme un besoin critique, pour lequel de nombreux d’entre eux dépensent une grande partie de leurs revenus. D’autres prennent d’énormes risques: une femme est retournée en Syrie après avoir été incapable d’inscrire ses enfants dans les écoles libanaises, et ce en dépit du danger. “L’éducation est le seul objectif” a-t-elle dit à Human Rights Watch. 

Cependant, la part d’aide des donateurs réservée à l’éducation est dérisoire, en baisse et ne parvient pas à atteindre de nombreux enfants. Moins d’un quart d’aide au développement venant de l’étranger est versée aux pays à faible revenus, qui accueillent 86 pour cent des réfugiés du monde entier. Et certaines crises à long terme sont sous-financées en permanence, dans la mesure où l’argent finit par être attribué aux situations d’urgence les plus visibles et les plus récentes. Beaucoup de subventions ne durent que 12 mois.

Parmi les fonds limités attribués à l'éducation, l'enseignement primaire reçoit la part du lion, et l'enseignement secondaire n’apparaît que comme un ajout pris en compte après-coup malgré le besoin de manuels, de salles de classe, d'équipement, et d'enseignants hautement qualifiés. En 2015, par exemple, le HCR a alloué uniquement 13 pour cent de son budget pour l'éducation à l'enseignement secondaire, un tiers de ce qui est dépensé pour l'enseignement primaire.

Les agences n'ont pas nécessairement autant de programmation pour l'enseignement secondaire qu'ils en ont pour les enfants plus jeunes. Les acteurs humanitaires en sont toujours à rattraper le retard dans le cas de l'enseignement secondaire.

Au Liban, le ministre de l'éducation et le HCR ont fixé l'objectif l'an passé d'inscrire près de 200 000 enfants syriens réfugiés dans des écoles publiques d'enseignement primaire, mais uniquement 2 080 dans des écoles d'enseignement secondaire, sur près de 83 000 enfants en âge d'être scolarisés au niveau secondaire.

Obstacles bureaucratiques

La bureaucratie peut souvent faire obstacle à l'accès à l'enseignement secondaire.

Les enfants en âge d'être scolarisés au niveau secondaire qui ont été déplacés de force ont été exclus de l’éducation parce qu’ils n’avaient pas de documentation officielle. Au Liban, les enfants atteignant l'âge de 15 ans doivent payer $200 — une somme souvent prohibitive-  pour renouveler leur permis de séjour, et nombreux sont ceux qui n'ont pas les documents nécessaires. En Turquie, les enfants réfugiés syriens doivent obtenir une "identification" pour s'inscrire à l'école, mais l'attente dure souvent six mois.

Certains adolescents syriens ont abandonné leur tentative de réinscription dans les écoles d'enseignement secondaire après des années passées à essayer de remplir des conditions inflexibles. Amal, 20 ans, a dit qu'elle avait passé tous ses examens de lycée “sauf le dernier" avant que sa famille ne fuie la Syrie, mais quand elle a essayé de finir ses évaluations en Jordanie, les fonctionnaires du ministère de l'éducation ont refusé à plusieurs reprises. ‘Ils disaient qu'ils avaient besoin de preuves que j'avais passé la 11ème année (1ère), mais ils ne voulaient pas du formulaire faxé, et m'ont dit que je devais envoyer l'original." Non seulement aurait-elle dû retourner dans une Syrie déchirée par la guerre pour l'obtenir, "mais la frontière est fermée."

Au Liban, les enfants réfugiés doivent fournir des transcriptions de leurs résultat de 9ème année (3ème) pour s'inscrire dans des écoles d'enseignement secondaire, ce que de nombreux d'entre eux ont laissé derrière eux au moment de fuir la Syrie. Et certains fonctionnaires d'écoles refusent alors de les accueillir. Loreen, une adolescente de seize ans n'est pas scolarisée depuis qu’elle a abandonné la 7ème année (5ème) à cause forts bombardements en Syrie. Quand elle a essayé de s’inscrire en Turquie, le directeur de l'école lui a dit qu'elle devrait "rejoindre un groupe avec des élèves de son âge, et ce sans exception", même si elle ne parlait pas le turc. Quand sa mère a demandé  à l'école un soutien linguistique, on lui a répondu qu'il "n'en existait pas". Loreen travaille maintenant à temps plein dans une usine de fruits secs.

Obstacles à l’éducation des filles

Les conflits peuvent aggraver les obstacles auxquels les filles font face au secondaire, qui incluent la violence sexuelle et sexospécifique, le mariage et la grossesse précoce.

En Afghanistan, les forces talibanes s’en sont pris à l'éducation des filles après s’être emparées du pouvoir de force en 2001;  en 2004, seulement 5 pour cent des filles afghanes bénéficiaient d'un enseignement secondaire, et les attaques ont ensuite augmenté. Les forces talibanes ont menacé les filles pour qu’elles arrêtent de se rendre à l’école après la puberté, ont tué des élèves et des professeurs, ont jeté de l’acide sulfurique sur les visages d’écolières adolescentes, ont brûlé leurs écoles et les ont attaquées avec des tirs de roquettes et des explosifs. 

Dans les situations de déplacement forcé, les parents peuvent en être réduits à marier leurs filles pour faire face aux préoccupations liées à la pauvreté et la sécurité, et la plupart des filles qui sont mariées cessent de se rendre à l’école. Le mariage des enfants a quadruplé parmi les réfugiées syriennes au Liban, en Turquie et Jordanie

À l’inverse, l’enseignement secondaire peut changer la vie des filles, avec des gains potentiels pour les pays d’accueil et le développement en général. Cela peut réduire la mortalité infantile parce que les enfants ayant un niveau d’éducation supérieur sont plus enclins à avoir un régime alimentaire sain et à recourir à des soins médicaux, et les filles ayant bénéficié d’un enseignement secondaire sont moins susceptibles de se marier tôt.  

Pauvreté et travail des enfants

La pauvreté - exacerbée par les politiques qui empêchent les parents de trouver du travail — empêche de nombreux enfants déplacés à accéder à l’école. La pression sur l’enfant pour qu’il gagne de l’argent augmente au fur et à mesure qu’il grandit. En tout état de cause, de nombreuses familles ne peuvent pas assumer les coûts liés aux frais d’inscription dans des écoles d’enseignement secondaire, aux uniformes, aux fournitures scolaires, et aux frais de transports plus élevés dans la mesure où les écoles d’enseignement secondaire sont souvent moins nombreuses et plus éloignées. 

Les enfants qui abandonnent l’école pour travailler risquent de souffrir d’un préjudice grave: exploitation, environnements de travail dangereux, ou violence. Le Liban a été témoin d’une forte augmentation des pires formes de travail des enfants parmi les enfants réfugiés en 2015, et des enfants ont été blessés, attaqués, ou arrêtés alors qu’ils travaillaient.

Quand il n’existe que peu d’opportunités de travail qualifié ou d’enseignement supérieur —  comme dans le camp de Daddab au Kenya, où seulement 13 pour cent des adolescents suivent un enseignement secondaire — il y a beaucoup moins d’incitation à obtenir une éducation secondaire. Une étude de l’ONU à Zaatari, le plus grand camp de réfugiés de Jordanie, a montré que les obstacles à l’éducation incluent souvent “un sentiment d’inutilité de l’éducation dans la mesure où [les enfants syriens] ont peu d’espoir en ce qui concerne leurs perspectives d’avenir.”

Permettre aux refugiés de travailler pourrait améliorer les retombées de la pauvreté sur l’enseignement secondaire. Les pays d’accueil craignent que les réfugiés ne prennent les emplois des citoyens, mais les réfugiés occupent souvent des emplois que les ressortissants ne veulent pas occuper, et les protections du travail pourraient aider à contrer les pression à la baisse sur les salaires résultant du travail informel.

Même dans les pays qui ont un accès ouvert pour les réfugiés, comme la Turquie, les restrictions — tels que les quotas, les restrictions géographiques et les permis liés à un parrainage local — subsistent souvent. Les réfugiés syriens au Liban, à qui l’opportunité de travailler légalement a été refusée et qui dépendent d’aides insuffisantes, ont davantage sombré dans la pauvreté, ce qui les empêche plus encore d’assumer les coûts liés à la scolarité de leurs enfants.

Des solutions alternatives sont possibles. En Ouganda, 500 000 réfugiés peuvent travailler et accéder à des écoles publiques, et 1 pour cent uniquement dépend complètement des aides.

Réponse mondiale

Il aura fallu des décennies pour que la communauté mondiale reconnaisse l’importance de l’éducation dans les interventions humanitaires, mais de récentes promesses pourraient aider les enfants déplacés —si elles sont tenues.  

En mai 2016, les donateurs humanitaires et les agences des Nations-Unies ont lancé L’éducation ne peut pas attendre, un fonds mondial dont l’objectif est de soutenir l’éducation de 75 millions d’enfants et de jeunes touchés par des situations d’urgence tous les ans, et qui cherche à lever $3.85 milliards d’ici 2020. 

En septembre 2016, les pays se sont engagés à améliorer l’accès d’1 million de réfugiés à des emplois légaux, et l’accès à l’éducation d’un million d’enfants réfugiés. La Commission mondiale des Nations-Unies pour l’éducation a fixé des objectifs et un calendrier spécifiques pour que les gouvernements parviennent à un enseignement secondaire gratuit, équitable et de qualité pour tous d’ici 2030, un objectif que tous les états membres des Nations-Unies se sont fixés dans le cadre des 17 objectifs mondiaux de développement durable.

Mais la bonne nouvelle doit être prise avec beaucoup de précaution. L’attention des donateurs au niveau de l’éducation s’est avérée versatile auparavant; en 2010, les financements consacrés à l’éducation ont considérablement chuté lorsque les donateurs ont réduit les budgets consacrés à l’aide ou ont alloué des fonds à d’autres secteurs. Et une plus grande transparence est nécessaire afin de rappeler leurs engagements aux donateurs.

Aller de l’avant

Il est fondamental pour les gouvernements touchés par les crises de protéger l’enseignement secondaire des attaques, de créer des solutions alternatives sûres, et d’assurer que leurs forces s’abstiennent de l’usage militaire des écoles.

Les gouvernements et les acteurs humanitaires doivent remédier aux obstacles qui amènent les enfants déplacés les plus âgés à quitter l’école, y compris pour les filles et les enfants handicapés, et faire de l’enseignement secondaire une partie intégrante du plan d’intervention en cas de crises. Un financement transparent, durable et pluriannuel est nécessaire de toute urgence pour garantir l’accès des enfants aux études et l’achèvement de ces études secondaires.

Afin de permettre aux familles d’assumer les coûts liés à la scolarité, les pays d’accueil devraient permettre aux réfugiés d’accéder au travail légal. Les donateurs devraient financer les efforts de subsistance pour que les familles ne dépendent pas du travail des enfants et puissent envoyer à l’école leurs enfants en âge de suivre un enseignement secondaire.

Les gouvernements accueillant des enfants étrangers devraient fournir un accès légal à l’enseignement secondaire ou à la formation professionnelle et technique sur la base de l’égalité de traitement avec les ressortissants nationaux, et dissocier les exigences relatives à l’immigration, tels que les permis de séjour, des critères d’inscription.  

Les pays d’accueil devraient s’assurer que les programmes d’éducation nationale incluent les enfants réfugiés, et s’adapter à eux en assouplissant les modalités d’inscription. Administrer des examens d’entrée, au lieu d’exiger des relevés de notes, est une manière simple de s’assurer que les enfants ne soient pas exclus de l’enseignement secondaire à cause de facteurs indépendants de leur volonté.

Les pays d’accueil doivent reconnaître que les enfants plus âgés méritent la même protection et le même soutien que celui dont bénéficient les enfants en âge d’être scolarisés en primaire, et ont besoin avant tout d’aller à l’école. Continuer d’ignorer leurs besoins serait une grave erreur.

Bill Van Esveld, Senior Researcher, MENA, Children's Rights Division, Human Rights Watch.

 

 

 

Elin Martinez, Researcher, Children's Rights Division, Human Rights Watch.

 

 

 

 

Bassam Khawaja, Lebanon Researcher, Middle East and North Africa Division, Human Rights Watch.

 

 

 

 

 

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