Chacun a le droit d’être éduqué et ce droit est garanti par le droit international et régional relatif aux droits de l’Homme. Cependant, pour le plein exercice du droit à l’éducation, celui-ci doit être mise en place efficacement au niveau national par l’adoption de dispositions constitutionnelles, de législations et de politiques. Mais cela n’est pas suffisant pour avoir un droit juridique; des mécanismes d’exécution doivent aussi être mis en place. Cela inclut la possibilité de recours juridiques, qui nécessite que le droit soit justiciable.

La justiciabilité fait référence à la bonne volonté de juger des problèmes devant des forums judiciaires ou quasi-judiciaires (tels que les organes de traités de l'ONU et le Comité européen des droits sociaux). Un droit à l'éducation justiciable signifie que lorsque ce droit est violé, le bénéficiaire du droit peut  effectuer une réclamation auprès d'un organe indépendant et impartial, et si la demande est  reconnue, un recours peut être accordé, qui peut ensuite être appliqué (Commission internationale de juristes 2008:1). 

Si les droits sont justiciables, les tribunaux peuvent s'assurer que l'État soit tenu responsable de ses actions, en accord avec les obligations internationales, régionales et nationales relatives aux droits de l'Homme. Cela signifie aussi que la société civile peut être plus efficace si elle fait du plaidoyer, défend et se mobilise pour la responsabilisation et le changement.

Les droits justiciables signifient que lorsque des violations ont lieu, il existe un droit à un recours efficace - dans ce cas un recours judiciaire ou quasi-judiciaire. L'accès à la justice est important dans la mesure où il permet de demander aux auteurs des violations de répondre de leurs actes,  de dissuader d’autres individus de violer les droits fondamentaux et d’empêcher l'impunité.

L'un des moyens utilisés par les tribunaux pour tenir les États responsables est d'octroyer des recours pour gérer les dommages causés au plaignant, par le biais, par exemple, d'injonctions, de mesures préventives, en recommandant des mesures politiques, en abrogeant des lois, par des sanctions administratives et par des sanctions pénales. Dans certains cas, ces recours ne sont pas uniquement bénéfiques au plaignant, mais à tous ceux affectés ou susceptibles d’être affectés par ces actions (ou inactions) qui ont conduit l’affaire devant un tribunal. Les tribunaux peuvent aussi accorder une indemnisation.

Une fonction importante des tribunaux est de donner aux personnes issues de groupes marginalisés une «voix» dans les systèmes démocratiques sans quoi leurs intérêts pourraient être négligés, et ce particulièrement par le biais de procédures de recours juridiques.  De plus, les procès -même lorsque les recours échouent- offrent une voie importante pour promouvoir les violations des droits de l’Homme et attirer l’attention des médias, ce qui peut conduire à une responsabilisation et un changement dans le futur.  

Enfin, les organes judiciaires et quasi-judiciaires jouent un rôle crucial dans la clarification du contenu et de la portée du droit à l’éducation; tout en identifiant progressivement ses éléments justiciables et en trouvant des manières innovantes  de statuer sur des questions relatives aux  droits économiques, sociaux et culturels. L’application judiciaire du droit à l’éducation dans d’autres juridictions peut aider les États à comprendre comment les droits économiques, sociaux et culturels peuvent être jugés afin de mieux répondre à leurs obligations en vertu du droit international. 

Historiquement, une distinction a été faite entre les droits civils et politiques (DCP) et les droits économiques, sociaux, et culturels (DESC), reflétées par l’adoption de deux instruments différents en 1966:  Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) (garantissant notamment les droits à la vie, à un procès équitable et à la liberté d’expression) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) (garantissant notamment les droits à l’éducation, au travail, à la santé). 

L’adoption de deux instruments distincts - au lieu d’une déclaration des droits unifiée- a été faite pour plusieurs raisons. L’une d’entre elles étant que, d’un point de vue conceptuel, les DESC sont différents des DCP dans la mesure où ils ne sont pas justiciables.

L’argument le plus commun contre la justiciabilité des DESC est que ceux-ci peuvent imposer aux États des obligations très différentes de celles des DCP. Par exemple, dans le cas de la liberté de religion, ce droit impose un devoir négatif à l’État afin d’éviter les ingérences dans le droit de l’individu à appartenir à une religion et à la pratiquer. À l’inverse, le droit à l’éducation peut exiger la création d’école, la formation des professeurs, et l’accès à du matériel pédagogique, etc. La nature des obligations imposées à l’État est souvent positive et contraignante. Par conséquent, lorsque les juges prennent des décisions concernant les DESC, ils prennent des décisions sur l’attribution des ressources et prennent donc en réalité des décisions politiques, violant alors les principes normatifs de la séparation des pouvoirs.  Mais cela est quelque peu ‘hypocrite’ étant donné que la mise en œuvre effective des DCP implique aussi l’allocation d’important budget de la part de l’État. Par exemple, le droit à un procès équitable entraîne de nombreux coûts, tels que -mais pas limité à- la formation des juges, les frais de justice, et  la prestation de services d’aide juridique. En d’autres termes, tous les droits de l’Homme se composent de différents types d’obligations: s’abstenir de toute ingérence et prendre les mesures nécessaires à l’exercice des droits. Le droit à l’éducation en est un bon exemple. Sa mise en œuvre exige des États qu’ils ne s’immiscent pas dans le libre choix de l’éducation par les parents et les enfants, mais elle exige en revanche des États qu’ils construisent des écoles et payent les professeurs.

De nos jours, il est généralement accepté que tous les droits de l’Homme sont indissociables, interdépendants et  intimement liés (Déclaration et programme d’action de Vienne 1993: paragraphe 5). Cela se reflète au niveau international par l’adoption de traités qui combinent les DCP et DESC, comme par exemple la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE).  De plus, la récente entrée en vigueur de procédures de plaintes pour le PIDESC et la CDE attestent de l’importance de réparer les violations à l’encontre de tous les DESC. Par ailleurs, le travail de tribunaux nationaux et régionaux fournit des preuves croissantes qu’il n’y a pas d’obstacle juridique ou conceptuel à l’identification et au jugement des violations des DESC, et en particulier du droit à l’éducation.

Pour plus d’informations sur les arguments conceptuels, voir Mantouvalou  «The Case for Social Rights» (en anglais uniquement) et Nolan, Porter & Langford «The Justiciability of Social and Economic Rights: An Updated Appraisal»(en anglais uniquement).

En 2000, Katarina Tomasevski, le premier rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’éducation a dit: «la question générale de savoir si les droits économiques, sociaux et culturels peuvent être contestés devant les tribunaux ne s'applique pas au droit à l'éducation, qui fait l'objet d'actions en justice devant les instances nationales et internationales»  (Rapport intérimaire sur le droit à l’éducation, 2000).

Le droit à l’éducation a été soumis à un examen judiciaire et quasi-judiciaire dans de nombreuses juridictions et un important corpus de jurisprudence est évident au  niveau national, régional et international.

Certains États ont entériné le droit à l’éducation dans leur constitution, le rendant alors justiciable au niveau constitutionnel. En Inde, le droit à une éducation gratuite et obligatoire a été reconnu dans la constitution en 2002, faisant suite d’une décision historique de la Cour suprême (Unni Krishman, J.P. v. État de l’Andhra Pradesh, 1993 – en anglais uniquement) qui avait estimé que le droit à l’éducation était une partie intégrante du droit à la vie, rendant alors le droit à l’éducation  indirectement justiciable.

Comme le droit à l’éducation est de plus en plus porté devant les tribunaux, les juges deviennent plus aptes à interpréter et clarifier ce que le droit à l’éducation implique exactement. Dans le passé, la plupart des tribunaux voulaient seulement juger les violations du droit à l’éducation si l’affaire impliquait des discriminations ou des traitements inégaux. La portée du droit à l’éducation était très restreinte. Cependant, le droit à l’éducation tel qu’il a été mis en œuvre par la suite, a élargi sa portée et s’est progressivement enraciné -  tout en devenant  de plus en plus justiciable. Les éléments justiciables du droit à l’éducation incluent une liberté de l’éducation, une éducation de qualité, une éducation gratuite et obligatoire et le financement de l’éducation. 

Il y a de nombreux exemples de cas concernant les différents aspects du droit à l’éducation qui ont été soumis à un examen judiciaire.

Au niveau national

L’aspect du droit à l’éducation le plus soumis à un examen judiciaire concerne la prohibition de la discrimination. Les cas de discrimination ont longtemps été jugés dans la plupart des tribunaux. Par exemple,   dans Brown v Board of Education (en anglais uniquement), la Cour suprême des États-Unis a considéré que la ségrégation raciale à l’école était une violation de la clause de la Constitution des États-Unis protégeant l’égalité de traitement. La Cour suprême a indiqué: «Nous concluons que, dans le domaine de l’éducation publique, la doctrine de «séparés mais égaux» n’avait pas sa place. Des établissements scolaires séparés constituent de par leur nature même une inégalité…».

Les tribunaux nationaux ont aussi eu affaire à des cas concernant le financement de l’éducation, un problème important qui affecte profondément l’accessibilité et la qualité de l’éducation. De 2005 à 2007 une association caritative de droit public en Indonésie a porté une série d’affaires devant la Cour constitutionnelle, réclamant qu’une nouvelle loi demandant que les dépense éducatives atteignent graduellement 20% du budget et les budgets successifs qui ne consacraient que 7% et 8,1%  à l’éducation violaient la constitution qui indique que 20% du budget national doit être consacré aux dépenses liées à l’éducation. La Cour a jugé (en anglais uniquement) que la loi et les deux attributions de budget étaient anticonstitutionnelles, ce qui a annulé la loi. Elle n’a pas annulé le budget, mais a cependant exigé que si des revenus devenaient disponibles, ils devaient alors être alloués à l’éducation. Malgré la réticence de la Cour à aller plus loin, les dépenses liées à l’éducation en Indonésie ont augmenté de 11,8% à partir de 2008, sans aucun doute grâce à l’influence de la Cour.

Le problème de la privatisation et des écoles privées concerne également le financement de l’éducation. Dans une décision récente, la Cour suprême du Népal (en anglais uniquement) a formulé un verdict demandant à ce que les autorités compétentes en matière d’éducation conçoivent des réformes des programmes pour réglementer les écoles privées -en réglementant les frais de scolarité, interdisant la vente de manuels non enregistrés et trop chers, et limitant le nombre d’écoles privées pouvant obtenir une accréditation. De plus, le secteur privé ne peut pas augmenter les frais de scolarité pendant trois ans dans la mesure où les frais de scolarité exorbitants demandés par les fournisseurs privés d’éducation causent de plus grandes inégalités entre les classes moyennes et populaires. 

Au niveau régional

Les mécanismes régionaux fournissent une source importante de jurisprudence relative au   droit à l’éducation dans la mesure où les États sont tenus responsables au-delà du niveau national. Dans l’affaire Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark (1976 – en anglais uniquement), la Cour européenne des droits de l’Homme a prononcé que l’éducation sexuelle obligatoire, telle que prescrite par les programmes nationaux, n’équivaut pas à l’endoctrinement, et ne viole donc pas le «droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques» (article 2, Protocole additionnel No.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales).

La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples dans l’affaire Rights Free Legal Assistance Group and Others c. Zaire (1995 – en anglais uniquement) a considéré que la fermeture durant deux ans des universités et des écoles secondaires au Zaïre (tel que c’était le cas à ce moment-là) à cause d’une mauvaise gestion évidente des finances publiques, était une violation du droit à l’éducation (article 17) tel que le stipule la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.

Dans l’affaire No 2137 (Argentine) (1978 – en anglais uniquement), la Commission interaméricaine des droits de l’Homme a conclu à une violation du droit à l’éducation (article XII) tel que garantit par la Déclaration américaine des droits de l’Homme. Dans ce cas, le gouvernement argentin a publié un décret bannissant les activités des témoins de Jehovah et interdisant aux «élèves professant la religion des témoins de Jehovah» de passer des examens. Les plaignants ont aussi présumé que plus de 300 enfants en âge d’être scolarisés n’avaient pas le droit à l’éducation primaire. La Commission a recommandé que le décret soit abrogé. 

Au niveau international

Au niveau international, le droit à l’éducation a été rendu justiciable par la récente entrée en vigueur de procédures de plaintes en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et de la Convention des droits de l’enfant. Lorsque ces mécanismes deviendront plus établis, un organe de jurisprudence internationale émergera. 

Pour plus de détails sur les aspects du droit à l’éducation soumis à un examen judiciaire ou quasi-judiciaire, voir Coomans  «Justiciability of the Right to Education» (en anglais uniquement), « Report of the United Nations Special Rapporteur on the Right to Education: Justiciability and the Right to Education» (en anglais uniquement) , COHRE «a Legal Practitioners Dossier» (en anglais uniquement), et «Litigating Economic, Social and Cultural Rights» (en anglais uniquement)et Interights «Litigating the Right to Education in Africa» (en anglais uniquement).

Tel que mentionné auparavant, il n’est pas suffisant d’avoir des droits garantis juridiquement; ces droits doivent être justiciables et mis en œuvre. Dans certaines juridictions, les barrières pour la justiciabilité complète du droit à l’éducation persistent encore. Par exemple, les barrières procédurales, le manque d’indépendance judiciaire et la capacité et volonté des juges de statuer sur ces questions.

Cependant, même lorsque le droit à l’éducation est justiciable, il y a toujours des barrières pour accéder à la justice. Dans un récent rapport sur la justiciabilité du droit à l’éducation, le rapporteur spécial sur le droit à l’éducation  a souligné les défis auxquels sont confrontés ceux (particulièrement les membres de groupes marginalisés) qui veulent entamer une procédure judiciaire concernant des allégations de violations. Cela inclut:

  • le fait que les personnes marginalisées ont bien souvent peu connaissance de leurs droits et des mécanismes qui existent en cas de violations;

  • le coût élevé des recours juridiques;

  • la difficulté à trouver des avis juridiques et une représentation adéquate;

  • la barrière culturelle, dont des compétences langagières limitées dans le cas des minorités linguistiques, la peur de représailles, ou d’autres barrières telles que les droits des femmes à se représenter; et 

  • les barrières procédurales telles que les règles de l’intérêt à agir qui empêchent les enfants, leurs parents et des tiers à porter plainte, ou encore les formalités des procédures judiciaires qui rendent très difficile l’accès aux tribunaux. 

 

La société civile joue un rôle important pour surmonter les défis mentionnés ci-dessus concernant l’accès à la justice. Elle peut par exemple diffuser l’information concernant le droit à l’éducation aux parents et aux administrations scolaires et aussi identifier et rendre publiques les violations du droit à l’éducation.

Les exemples de réussite ont aussi montré que la société civile peut jouer un rôle important pour défendre des cas en justice. Voir par exemple comment la société civile en Afrique du Sud a défendu le droit à l’éducation à travers de recours judiciaires dans un cas concernant le manque de manuels scolaires dans la région de Limpopo:  La réussite de SECTION27 (en anglais uniquement).